Un vent mauvais s’est
levé sur le développement durable. L’idée s’est installée que le progrès
écologique serait l’ennemi de l’emploi et de la croissance. Sans nier les
tensions qui s’expriment entre les objectifs
environnementaux, sociaux et économiques, l’évidence s’impose : l’inaction
n’est plus une option. Par ailleurs, des solutions existent pour éviter que ne
s’installe ce nouvel obscurantisme. Je souligne dans cet article des pistes de
progrès dont les gouvernements et les entreprises peuvent se saisir.

Pourquoi l’inaction n’est-elle plus une option ?
Cinq raisons majeures obligent à une action déterminée.
Notre mode de croissance n’est plus soutenable
Notre mode de croissance et l’empreinte écologique qu’elle
provoque ne sont plus soutenables. Aujourd’hui
à l’échelle du globe, nous « consommons » chaque année l’équivalent
de 1,6 planète en termes de ressources. A lui seul, le monde occidental
consomme 5 planètes, … grâce aux habitants des pays les plus défavorisés, qui,
eux, font abstinence. Et si les citoyens des pays du Sud consommaient autant
que les Français (sans même parler des Américains…), c’est 18 planètes que nous
consumerions. Comme le disait Gandhi, « le monde a assez pour les besoins
de chacun ; pas pour la cupidité de tous ». Le statu quo n’est plus
moralement et humainement possible : en d’autres temps, cette surconsommation
des ressources était qualifiée de politique de la terre brûlée.
Comme l’explique avec grande conviction la sociologue
Dominique Méda, qui s’intéresse à la fois au développement durable et au
travail humain, il faut désormais « se comporter à l’égard de la nature
comme des usufruitiers et non des propriétaires. L’objectif ne doit plus être
la croissance du PIB mais la satisfaction des besoins humains sous contrainte
des réserves naturelles et de la cohésion sociale »[2].
Notre mode de croissance génère des inégalités insupportables
Dans un rapport récent, intitulé « Pour une politique
sociale-écologique : protéger l'environnement et réduire les inégalités », la
Fondation Terra Nova souligne que « ce sont les pays les plus pauvres qui
subissent les pires conséquences du dérèglement climatique ou de la perte de
biodiversité, et ce sont aussi, au sein des pays riches, les populations les
plus pauvres qui habitent dans les territoires les plus touchés par la
pollution de l’air et le bruit »[3].
Il y a là un profond facteur d’injustice : les
nuisances écologiques affectent en priorité les plus fragiles (pays en voie de
développement ou personnes les plus défavorisés au sein des pays riches) alors
que ce sont les pays riches et les personnes les plus économiquement favorisées
qui sont à la source de la plus grande part de ces nuisances. Ce sont pourtant
ces derniers qui ont les moyens d’agir pour faire cesser ou atténuer ce facteur
d’injustice.
En retenant les émissions de gaz à effet de serre comme
indicateur de mesure de l’impact environnemental des ménages, on constate que
les 20 % des ménages les plus aisés en France induisent, via leur consommation,
29 % des émissions de CO2 du pays, alors que les 20% des ménages les plus
modestes n'en induisent que 11 %. Le bilan carbone moyen d’un Français du 5ème
quintile est ainsi 2,6 fois plus élevé que le bilan carbone d’un Français du
1er quintile[4].
Le coût de l’inaction devient insupportable
Dans le troisième et dernier volet de son cinquième rapport,
publié en mars 2014, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur
l'évolution du climat), qui s'appuie sur le travail d'un millier d'experts,
estime que la communauté internationale a les moyens d'assurer le passage de
l'énergie fossile aux énergies renouvelables. Cette transition ne retirerait
selon le GIEC que 0,06 point de pourcentage par an à la croissance économique
mondiale. Le secrétaire d'État américain John Kerry a jugé que chaque année
d'inaction augmentait le coût futur de la lutte contre le réchauffement
climatique.
De fait, le coût majeur est celui de l’inaction. En 2012,
les chercheurs estimaient que le coût du changement climatique et de la
pollution atteindrait l’équivalent de 3,2% du PIB mondial d’ici 2030. Ce coût
pèserait d’abord sur les pays les moins développés pour lequel il
représenterait 11% de leur PIB. L’impact du changement climatique est déjà
sensible : il contribue à 400.000 décès par an et représente un coût
annuel de 1.200 milliards de dollars, soit 1,6% du PIB mondial[5].
Les tensions de court terme nuisent à l’emploi
En l’absence d’une action volontariste, nous finissons par
nous trouver au pied du mur, sans marge de manœuvre, et dans ces conditions, le
respect de l’environnement s’oppose effectivement à l’emploi. L’aciérie Ilva à
Tarente (Italie) est la plus grande d’Europe et représente 12.000 emplois
directs et 20.000 indirects. La justice italienne a ordonné son arrêt en 2012
pour non-respect des normes environnementales (les études sanitaires ont révélé
un taux de surmortalité de 15 à 30% de cancers en plus dans sa zone
d’implantation par rapport à la moyenne nationale). On estime qu’il faudrait
investir 4,2 milliards d’euros sur la période 2013-2020 pour remettre l’usine
en état. La justice italienne a ordonné en mai 2013 un gel de 8,1 milliards
d’euros d’actif de son propriétaire, le groupe Riva, équivalent théorique des
sommes qui auraient dû être investies dans la remise à niveau du site pour
respecter les normes environnementales[6].
Des cas similaires se sont déroulés en France et montrent l’importance de
l’anticipation[7].
Certains pays tirent leur épingle du jeu
Certains pays ont montré que l’excellence en matière de
politique environnementale n’est pas l’ennemie de l’emploi. Les universités
américaines de Yale et de Columbia publient, tous les deux ans, un rapport
permettant de comparer les Indices de Performances Environnementales (IPE) de
plus de 132 pays, ce qui permet d’évaluer les différentes politiques
environnementales de ces pays. L’IPE est établi sur une base de 100 et calculé
sur la base de 16 critères[8].
Le classement des pays considérés comme les plus vertueux en matière de
politique environnementale en 2012 distingue la Suisse (77 points), la Lettonie
(70 points) et la Norvège (69,9 points), suivis par le Luxembourg, le
Costa-Rica et la France. Les meilleures performances s’expliquent par
l’excellence de certaines pratiques (par exemple le recyclage pour la Suisse ou
la politique en faveur de la biodiversité pour le Costa Rica) ou la forte
détermination des politiques environnementales (la Norvège, qui s’est fixé pour
objectif le “Zéro émission” d’ici à 2020). Le cas de la Suisse, de la Norvège
ou du Luxembourg montrent que l’excellence environnementale et la situation
favorable de l’emploi sont parfaitement compatibles[9].
Comment agir : les politiques publiques
En l’absence de politiques publiques volontaristes, le progrès
humain risque de s’effectuer à l’encontre des équilibres environnementaux. Ainsi
par exemple, Eloi Laurent, économiste à l’OFCE et enseignant à Sciences Po, à
la Sorbonne et à Standford University, rappelle que sur la période 1970 à 2010,
l’indice de développement humain s’est en moyenne amélioré de 40% (espérance de
vie en progrès de 11 ans, revenu moyen doublé, pauvreté extrême réduite de
moitié…) tandis que l’indice mondial de biodiversité a reculé de 30%.
Les politiques publiques doivent s’efforcer de viser à la
fois l’écologie et l’emploi. En France, la loi de « programmation de la
transition énergétique pour la croissance verte » présentée par la ministre de
l'écologie, Ségolène Royal, au conseil des ministres du 30 juillet 2014, fixe des
objectifs ambitieux en termes de baisse de la consommation d'énergie, de
réduction des gaz à effet de serre ou de promotion des filières renouvelables. Elle considère
que « dans les trois ans qui viennent, la transition énergétique pour la
croissance verte peut générer 100 000 emplois nouveaux »[10].
Elle met justement l’accent sur la rénovation thermique, le chantier le plus
créateur d’emplois : le secteur du bâtiment représente à lui seul presque la
moitié de la consommation d’énergie du pays (44%). Le projet prévoit donc de
diminuer de moitié la consommation d’énergie d’ici à 2050 et de rénover 500.000
logements par an – un objectif déjà fixé dès 2012, mais désormais assorti d’un
allègement fiscal de 30% du montant des travaux de rénovation.
Le projet de loi met en avant 4 objectifs : combattre
le chômage par la croissance verte ; valoriser de nouvelles technologies ; conquérir
de nouveaux marchés dans le domaine des énergies renouvelables, du transport
propre et de l’efficacité énergétique ; améliorer la compétitivité des entreprises.
Il identifie les gisements d’emplois les plus prometteurs : rénovation
thermique des bâtiments, énergies renouvelables, recyclage et valorisation des
déchets, filière bois.
Actionner le levier fiscal
Les politiques publiques doivent utiliser le levier fiscal,
notamment pour mettre en application le principe pollueur-payeur. Or, la France
était en 2010 à l’avant-dernière place des pays de l’Union européenne (26ème
sur 27) pour ce qui concerne la part de la fiscalité environnementale dans la
richesse nationale. De fait, cette fiscalité se situe à 1,86% du PIB pour une
moyenne de l’UE de 2,37%, l’Allemagne se situant à 2,21%. Pire : la
fiscalité en France est globalement défavorable à l’environnement. Le rapport
Sainteny s’est attaché à passer au crible les exemptions de taxes et les
subventions sur les énergies fossiles, les transports ou encore le logement,
suivant qu’elles ont un impact négatif, positif ou mixte sur le respect de
l’environnement et plus particulièrement la biodiversité[11].
Il a estimé la masse des subventions à impact négatif à plus de 35 milliards
d’euros en France, c’est-à-dire trois fois plus que les aides favorables à
l’environnement. Par ailleurs, les taxes environnementales ont progressé moins
vite (+10% en valeur entre 2000 et 2010) que l’ensemble des impôts (+29% pour
les impôts et cotisations sociales) et les prix à la consommation (+18,5%). Le
fiasco de l’écotaxe n’est que le dernier épisode d’une fiscalité qui ne
parvient pas à remettre les priorités en ordre…
S’attaquer aux inégalités
Il faut briser le cercle vicieux qui s’est installé entre
l’accroissement des inégalités et les dégradations environnementales. L’économiste
Eloi Laurent a montré que « les inégalités sociales, notamment au travers
de la richesse excessive et de la pauvreté extrême, jouent un rôle déterminant
dans les crises écologiques ».[12]
Une étude essentielle sur les liens entre l’environnemental et le social,
publiée par le CEDD (Conseil économique pour le développement durable) sous la
plume de Patricia Crifo (université Paris Ouest et École Polytechnique) et Éloi
Laurent, montre que l’absence de politique environnementale volontariste aggrave
la situation sociale et enclenche un cercle vicieux[13].
Ainsi, « la préoccupation environnementale est une nouvelle frontière de la
question sociale : des politiques publiques visant l’équité ou la réduction des
inégalités sociales qui ne prendraient pas en compte la dimension
environnementale ignoreraient un aspect essentiel de la question sociale ».
L’étude montre que inégalités environnementales et
inégalités sociales ne se substituent pas les unes aux autres mais au contraire
se cumulent. Ainsi, par exemple, les auteurs rappellent le bilan de la canicule
de 2003 en France pour laquelle l'InVS (Institut de veille sanitaire) a montré
que la première variable expliquant un décès était la catégorie
socioprofessionnelle. Autre exemple : les habitants des ZUS (zones
urbaines sensibles) représentent les deux tiers de la population française
totale exposée au risque industriel et « la dégradation de la santé des
résidents des ZUS en raison de leur plus grande exposition au risque
environnemental aggrave encore la précarité de leur condition sociale. » Les
enjeux environnementaux ne sont donc pas une lubie pour les « bobo »
insensibles aux politiques sociales : ils exercent un impact sur la
qualité de vie des plus démunis, leur cadre de vie, leur santé.
Les inégalités, comme le rappelle l’étude du CEDD, entravent
le développement de savoirs et de technologies complémentaires aux
comportements de consommation responsable. Car les pratiques des consommateurs
pionniers pour les produits verts, riches, ne se diffusent pas assez pour
permettre aux consommateurs pauvres d'acheter des produits verts. Une analyse
empirique des données de l'OCDE entre 1985 et 2005, montrait ainsi que les pays
riches les plus inégalitaires exercent un effet négatif sur le rythme des
innovations vertes et la taille des éco-industries alors que dans les pays
pauvres, c'est le revenu par tête qui est capital pour l'innovation verte.
La réduction des inégalités est donc une clé de la réduction
de l’empreinte environnementale tout en exerçant des impacts sociaux positifs.
Le rapport de Terra Nova précédemment cité rappelle les travaux des épidémiologistes
Richard Wilkinson et Kate Pickett, qui se sont intéressés aux déterminants de
la qualité de la santé publique et de la cohésion sociale, en s’appuyant sur de
nombreux indicateurs (maladie mentale, espérance de vie, taux de mortalité
infantile, obésité et maternité précoce pour la santé publique ; niveau de
confiance, réussite scolaire des enfants, homicides, taux d’incarcération et
mobilité sociale pour la cohésion sociale). Le titre de leur ouvrage,
« Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », résume leurs
conclusions : l’indice de problèmes sanitaires et sociaux semble
faiblement corrélé au niveau de richesse dans les pays développés mais les pays
les plus inégalitaires semblent clairement souffrir de problèmes sanitaires et
sociaux en moyenne plus importants[14].
La réduction des inégalités va à la fois dans le sens du
progrès social et du progrès économique. Les économistes libéraux ont longtemps
pensé que la réduction des inégalités et les transferts sociaux étaient
défavorables à la croissance et donc à l’emploi. Un récent rapport du FMI a
changé les perceptions sur ce point[15].
En compilant les indices de Gini[16]
dans 150 pays sur un demi-siècle, les auteurs ont montré qu'une inégalité plus
forte est corrélée à une croissance plus faible à moyen terme. En distinguant
la répartition des revenus avant et après les taxes et les transferts sociaux,
ils ont constaté qu’une moindre inégalité des revenus nets est associée à une
croissance plus robuste et plus stable. Enfin, le niveau de redistribution en
lui-même n'affecte pas la croissance, sauf dans des cas extrêmes. Au total
donc, la redistribution est en moyenne associée positivement à une croissance
soutenable.
Il faut également noter que les pays les plus égalitaires
sont aussi ceux qui font le plus pour l'environnement : ce sont les pays
nordiques, qui présentent également des performances très honorables en termes
d’emplois et plus généralement de valorisation du « capital humain ».
Pour Terra Nova, la politique environnementale doit être
mise en convergence avec les objectifs sociaux et économiques en misant sur la
réduction des inégalités (favorable à la croissance) : « Pour
atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, les pouvoirs publics
doivent les associer à des objectifs sociaux volontaristes, et en premier lieu
viser une réduction forte des inégalités. (...) Pour que la transition
écologique devienne effective, il est nécessaire de l’inscrire comme réponse en
même temps aux urgences sociales, écologiques et économiques. Réconcilier ces
trois enjeux permettra alors de concevoir des politiques de développement
durable qui répondent aux attentes de court terme tout en s’articulant avec les
objectifs de long terme de la transition écologique et énergétique »[17].
Miser sur les emplois verts
Dans son rapport intitulé « Vers une économie verte :
pour un développement durable et une éradication de la pauvreté », publié
en 2011, le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue) préconise
une transition vers « l'économie verte » ; celle-ci devant entraîner
« une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en
réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie
de ressources ». Le rapport pointe dix secteurs clés : agriculture,
logement, énergie, pêche, forêt, industrie, tourisme, transport, ville, déchets
et eau. On trouve dans cette liste un grand nombre des forces de l’économie
française, ce qui soutient l’idée que la croissance verte est une opportunité
pour notre pays.
Peut-on chiffrer l’impact de la transition écologique en
termes d’emplois, ce qu’il est convenu de désigner par « emplois
verts » ? En juin 2009, un rapport du cabinet BCG prévoyait en
résultante des mesures issues du Grenelle de l’Environnement, une activité
économique de plus de 450 milliards d’euros et la création (ou la sauvegarde)
de 600 000 emplois entre 2009 et 2020[18].
Ce rapport s’est attiré de nombreuses critiques[19].
Les évaluations ultérieures feront preuve de davantage de modération (et
surtout de prudence).
Une étude du WWF France publiée fin 2008 soutenait que
réduire de 30% les émissions de CO2, par rapport à 1990, induirait la création
nette de 684 000 emplois en France, par rapport au scénario « tendanciel ». A
la même époque, le Bureau international du travail (BIT) prévoyait un
doublement du marché mondial des produits et services écologiques pour
atteindre 2.740 milliards de dollars en 2020[20].
Les syndicats s’emparaient de la question et publiaient leurs propres
projections et recommandations sur la transition écologique, notamment la
Confédération Européenne des Syndicats (CES) et la Confédération syndicale
internationale (CSI), qui rassemble 312 organisations nationales de 155 pays et
territoires[21].
Anticiper les effets sociaux de la transition
La transition écologique va effectivement générer des coûts
importants mais elle va aussi créer de nouvelles activités et doit être
envisagée dans toutes ses incidences technologiques mais aussi sociales. Comme
l’écrivait Terra Nova dans une note sur ce sujet, « la conversion de
l'économie traditionnelle vers l'économie verte mobilise des secteurs intensifs
en travail, modifie les compétences attendues dans la plupart des secteurs,
mais remet aussi en cause la viabilité économique d’un certain nombre
d’activités. Un accompagnement massif par des politiques de formation
professionnelle et de reconversion est indispensable pour réussir la transition
écologique »[22].
De fait, le succès des politiques de croissance verte dépend
de manière cruciale des nouveaux besoins en capital humain. Les emplois
détruits dans « la vieille économie carbonée » ne proposent pas les
mêmes qualifications que celles que réclame « l’économie
verte » : il y a donc un effort considérable de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle de secteurs
entiers de l’économie. Malheureusement, on a du mal à identifier les branches
qui se seraient saisies de cet enjeu majeur pour négocier un accord de GPEC
avec une vision forte des incidences des mutations en termes d’emplois, de
qualification et de formation professionnelle.
Comment agir : les opportunités pour les entreprises
Les entreprises ne sont pas demeurées inactives face aux
enjeux environnementaux. Alors que la RSE (Responsabilité sociale des
entreprises) et le développement durable restent encore trop souvent l’apanage
des grandes entreprises, il est d’autant plus positif de constater qu’en
France, plus de la moitié (56 %) des petites sociétés (10 à 49 salariés)
s'impliquent dans la gestion économe des ressources et dans le recyclage des
déchets… et contribuent donc au découplage entre empreinte écologique et
croissance[23].
Les politiques environnementales sont favorables à la
croissance et à la compétitivité, comme l’a rappelé le rapport Attali sur
l’économie positive[24].
Il rappelle notamment l’étude « People & Profits » des économistes Joshua
Margolis et James Walsh (2011), qui étudie le lien entre les performances environnementales,
sociales et financières des entreprises. Elle montre les nombreux bienfaits
économiques que tirent les organisations qui préservent l’environnement :
réduire la pollution peut diminuer les coûts d’opération ; adhérer à des
standards environnementaux favorise l’innovation dans les procédés ; développer
des stratégies efficaces de gestion des ressources rares (eau, énergie) rassure
les investisseurs (sécurité d’approvisionnement) ; la responsabilité sociale
diminue les risques de sanctions coûteuses pour non-respect des règlements et
de poursuites tout aussi coûteuses entamées par des clients insatisfaits ou par
le gouvernement ; le moral des employés est amélioré, ce qui les rend plus
productifs ; l’entreprise devient attractive pour les jeunes talents et les
fidélise ; enfin, la communauté fait davantage confiance à l’entreprise.
Voici les 7 pistes d’action qui me semblent les plus
pertinentes pour les entreprises.
Mettre l’accent sur la politique de développement durable / RSE
Les politiques de développement durable et de RSE
s’attachent à desserrer l’étau de la consommation de ressource sur la
croissance et l’emploi. Ainsi par exemple, une enquête sur les enjeux 2013 de
la RSE et du Développement Durable montrait que dans le domaine environnemental,
la réduction et la gestion des déchets était massivement retenue comme la
priorité de l’année – par 54% des entreprises[25].
Cela n’empêchait pas des actions plus stratégiques comme l’éco-conception
(20%) et l’analyse de cycle de vie des produits ou services (16%) de figurer
aussi à l’agenda.
Le seul fait de se donner des objectifs chiffrés dans le
cadre de leur politique RSE focalise les entreprises autours d’objectifs
d’économie de ressources, de ré-utilisation ou de maîtrise des rejets. Le 5ème
Baromètre annuel sur la RSE dans les entreprises du CAC 40 publié par l'agence
Capitalcom montrait que leurs démarches sont plus structurées et de plus en
plus chiffrées : le nombre moyen d’objectifs chiffrés extra-financiers a
augmenté, passant de 9 en 2010 à 10 en 2011 et les objectifs environnementaux
arrivent en tête (54%), largement devant le social (27%). Sur un échantillon
plus large d’entreprises de toutes tailles le Baromètre des Enjeux RSE 2014 par
BDO et Malakoff Médéric montre que 59% des professionnels interrogés (directeurs
du développement durable, responsables RSE, responsables de projet RSE)
déclarent disposer d'indicateurs sur l'environnement et 51% mesurent
l'optimisation de la consommation d'énergie.
Il reste cependant beaucoup d’efforts de conviction à
réaliser vis-à-vis des entreprises qui sont demeurées en dehors de l’adoption
de la RSE. En France, une étude de l’INSEE a montré que c'est dans le domaine
environnemental que les différences entre les sociétés impliquées dans la RSE et
les autres sont les plus marquées. Ainsi, en matière de management
environnemental et de développement
d'écoproduits, l'écart est du simple au double entre les sociétés impliquées
dans la RSE (respectivement 61 % et 43 %) et les autres (30 % et 23 %). Même
écart en matière d'amélioration de l'efficacité énergétique ou de réduction des
émissions de gaz à effet de serre (60 % contre 27 %)[26].
Réduire les coûts et améliorer la productivité
Les enquêtes sur la mise en œuvre du développement durable par
les entreprises montrent que la première modalité est la réduction des coûts
par l’économie des ressources : énergie, eau, air, matières premières,
composants. Ce faisant, les entreprises contribuent au découplage entre
croissance économique et empreinte écologique.
Un autre aspect positif des politiques de développement
durable se concrétise dans les gains de productivité, qui ont pour vocation de
favoriser l’emploi par l’amélioration de la compétitivité. Magali Delmas,
économiste de l’environnement à l’Institut de l’Environnement de UCLA et Sanja
Pekovic, chercheur au sein de l’Université Paris-Dauphine, montrent dans une
étude, menée auprès d’un échantillon de 4 929 salariés français, que les
entreprises qui adoptent des normes environnementales telles que l’ISO 14001
ont des employés 16% plus productifs que celles qui s’en affranchissent[27].
Lorsqu’une entreprise fait certifier ses activités selon les exigences de cette
norme ISO, ses salariés sont formés sur l’engagement environnemental de
l’organisation, ce qui les conduit à travailler ensemble, avec d’autres
départements, pour réduire l’impact de l’entreprise sur l’environnement. Cette
démarche contribue à développer leur sentiment d’appartenance à l’égard de leur
entreprise, la motivation et l’engagement au travail, la qualité des relations
entre collègues. Elle constitue une réponse aux attentes, de plus en plus
croissantes, des salariés qui veulent avoir, par leur travail, une influence
positive sur le monde qui les entoure (voir sur ce blog : « La RSE comme réponse à la crise du sens : 3 chantiers de progrès »).
Saisir les opportunités de croissance
Au-delà des seuls « emplois verts », la mise en
place de l’économie verte va réclamer des investissements qui constituent
autant d’opportunités de croissance. Selon un rapport réalisé par SustainAbility, cabinet de conseil
britannique spécialisé dans le développement durable, pour le Pnue (Programme
des Nations unies pour l'environnement), « la demande annuelle
d'investissement nécessaire à la mise en place de l'économie verte est estimée
entre 1.000 et 2.500 milliards de dollars. Ce qui représente une opportunité
énorme pour le secteur privé pour fournir les infrastructures, les équipements,
les biens et les services qui conduiront cette transition. Par exemple, le
chiffre d'affaires des entreprises sur le marché des énergies renouvelables devraient
augmenter de plus de 300 milliards de dollars par an d'ici à 2020 »[28].
Plus globalement, l’OCDE a chiffré les investissements annuels dans la prise en
compte des impacts environnementaux à 5.700 milliards de dollars[29].
L’un des acteurs qui jouera le rôle d’arbitre ultime dans
les opportunités de croissance est encore discret : il s’agit du
consommateur. A peine 8% d’entre eux déclarent que le traitement de
l’environnement constitue un critère de choix suffisant pour les décider à
changer de marque[30].
Mais cette proportion s’accroît, au rythme des possibilités d’information
(étiquetage, labels, etc.) et des efforts de conviction. Les consommateurs sont
aussi des citoyens et ceux de l’Hexagone conviennent que les solutions existent
et que chacun peut agir à son niveau : « pour 82 % des Français, la
possibilité d’agir par sa consommation (choisir des produits écologiques,
locaux…) s’est améliorée ces dix dernières années. Et pour 84 %, cela
continuera dans les dix prochaines années »[31].
Le découplage entre croissance et empreinte écologique
suppose aussi de travailler sur les aspects qualitatifs de la consommation, devenue
synonyme de frustration des désirs, d’érosion du lien social, de dangers pour
la planète et de contraintes pour les ménages. Un rapport de Terra Nova, «
Réinventer l’abondance, pour une politique des consommations », propose de
réorganiser nos usages, nos besoins et nos productions pour réinventer une
politique sociale et écologique des consommations autour de trois axes :
repenser le pouvoir d'achat pour sortir de la seule logique économique et
financière ; donner plus de pouvoirs aux consommateurs ; les protéger dans leur
quotidien[32].
Miser sur le développement durable transformatif
L’enjeu majeur pour les entreprises est de ré-inventer leur
modèle de croissance afin de transformer la contrainte environnementale en opportunité
économique. Accenture a publié un rapport pour montrer que « les
entreprises qui gagnent sont celles qui, au lieu de considérer le respect des
contraintes environnementales comme un frein à la croissance le conçoivent
comme une opportunité pour établir des partenariats qui cassent les frontières
entre secteurs et créent de nouvelles sources de croissance »[33].
Les auteurs donnent l’exemple des offres d’économies d’énergie, qui associent
les compétences d’industriels de l’énergie, des hautes technologies et de la
construction, des villes intelligentes, du véhicule électrique, etc.
Pour faire du développement durable un levier de croissance
et d’emplois futurs, il faut que les entreprises non seulement se saisissent de
l’enjeu mais aussi réalisent une transition qui n’en n’est qu’à ses
balbutiements. Il s’agit de basculer d’un développement durable proclamé
(utilisé à des fins de communication et pris en charge par une direction du
développement durable qui peine à diffuser en interne) à ce que j’appelle le développement
durable transformatif. Ce dernier présente cinq caractéristiques :
- intégré au modèle d’affaires,
- traité comme levier stratégique,
- vecteur de la conduite du changement,
- diffusé par l’ensemble des directions fonctionnelles et opérationnelles (la direction du développement durable n’est plus directement en première ligne mais développe un rôle d’impulsion, d’expertise et de coordination)
- assimilé et approprié par les salariés.
C’est ce que confirme l’étude d’Accenture et de Global
Compact sur le développement durable[34].
Les auteurs ont effectué un zoom sur les réponses des PDG des entreprises qui
combinent une maturité reconnue dans la mise en œuvre du développement durable (mesurée
par la présence dans les indices de DD) et des performances supérieures à
celles de leur secteur (en termes de croissance des ventes, de profitabilité et
de création de valeur). Ils ont comparé les réponses de ces PDG à celles des
entreprises « ordinaires ». Voici leurs conclusions : « ces
entreprises exemplaires ont réussi à sortir d’une approche réactive du développement
durable qui n’appelle que des réponses
incrémentales pour en faire un levier d’innovation, d’avantage compétitif, de
différenciation et de croissance ». Plus loin, les auteurs soulignent que
pour ces PDG, « l’objectif est de mesurer et gérer non plus seulement la
réduction (des coûts) ou la limitation (des risques) mais aussi la valeur des
initiatives de développement durable et leurs impacts sur leurs parties
prenantes ».
Une étude menée en 2013 par le cabinet BCG en coopération
avec la MIT Sloan Management Review a montré que 37% des 2.600 managers
interrogés de par le monde considèrent que les investissements en faveur du développement
durable constituent une source de profit (contre 23% l’année précédente)[35].
Presque la moitié d’entre eux (48%) ont été amenés à changer leur modèle
d’affaires dans le cadre de ces démarches. Cette étude mettait en évidence une
corrélation intéressante : plus le nombre de composantes du modèle
d’affaires modifiés était important, plus la proportion de répondants déclarant
que ces évolutions constituait une source de profit était grande. En d’autres
termes, l’intensité des changements détermine le retour sur investissements (voir
sur ce blog : « Construisez votre politique RSE comme un accélérateur de changement »).
Cela dit, la mise en place de ce développement durable transformatif
est loin d’être à maturité. Ainsi par exemple, même parmi les entreprises
pionnières, l’intégration du développement durable au sein des directions
fonctionnelles n’en est qu’à ses prémices. C’est ce que nous apprend l’enquête annuelle
de BSR (Business for social responsibility) auprès de 700 cadres et dirigeants
travaillant au sein de ses entreprises adhérentes[36]. Un aspect intéressant de cette enquête est
qu’elle demande de noter le niveau d’engagement des différentes fonctions de l’entreprise
vis-à-vis de la fonction Développement Durable / RSE. Sans surprise, on
constate que les fonctions Communication et Affaires publiques sont les plus engagées
(75% et 66% d’entre elles respectivement). En position intermédiaire, on trouve
la fonction Supply Chain & Achats, Opérations, Juridique et Relations
investisseurs (35 à 65% d’engagement). Enfin viennent les maillons faibles, qui
posent question : la fonction Ressources Humaines n’est engagée que pour 34%
d’entre elles, ce qui signifie que les deux tiers des entreprises (qui, en tant
qu’adhérentes de BSR, comptent parmi les plus avancées…) ne se préoccupent
guère de diffuser la politique développement durable / RSE au sein de leur
collectif humain. Viennent ensuite les quatre fonctions qui façonnent l’avenir
de l’entreprise et de ses produits : le Développement produits (33%), la
R&D (32%), le Marketing (28%) et la Stratégie (28%). A l’heure de l’éco-conception
et de l’économie circulaire, on voit mal comment ces entreprises pourraient se
saisir des enjeux sans intégrer le développement durable et la RSE dans leurs
process amont… Enfin, et sans surprise, la fonction la moins engagée est la
Finance (16%), ce qui suggère que les conceptions de Milton Friedman (qui
pensait que toute autre motivation que la recherche du profit pour une entreprise
est immorale et antiéconomique[37])
ont encore de belles heures chez les financiers…
Qu’est-ce qui empêche les entreprises d’aller plus loin dans
l’engagement en faveur du développement durable ? Le plus sûr moyen de
trouver une réponse pertinente et de poser la question aux dirigeants. C’est ce
qu’on fait Accenture et le Global Compact auprès de 1.000 CEOs (PDG) de 103
pays. Les résultats de leur étude («CEO Study on Sustainability 2013 ») sont
clairs : le frein qui se situe en tête et qui progresse constamment depuis
10 ans est le manque de lien entre développement durable et création de valeur
(« business value »)[38].
Ce frein n’était cité que par 18% des PDG en 2007 mais 30% en 2010 et 37% lors
de la dernière enquête (2013).
Cet enjeu est essentiel et doit être débattu par les équipes
dirigeantes. Parmi les premières questions que je mets en débat au sein du
Comex ou du Comité de direction, dans une démarche de cadrage de la politique
RSE d’une entreprise ou d’une organisation figurent par exemple :
- Dans quels domaines les enjeux sociaux et environnementaux sont-ils en tension ou au contraire en appui avec les contraintes économiques et financières ?
- En quoi ces tensions et ces appuis vont-ils modifier le jeu concurrentiel et les options stratégiques dans nos activités ?
- Quelles options stratégiques devons-nous développer en réponse ? Comment faire levier sur ces nouveaux enjeux ; comment les transformer en opportunités stratégiques et en facteurs de différenciation compétitive ?
Ces questions (et les suivantes…) fournissent de précieuses
indications pour arrimer le développement durable / RSE au moteur stratégique
de l’entreprise.
Favoriser l’innovation
L’innovation joue un rôle majeur dans la capacité à mettre
en synergie des résultats environnementaux / sociaux et des bénéfices
économiques. Elle requiert le croisement d’expertise. Selon Gary Hamel, consultant
et enseignant à la London Business School, « pour construire le Management 2.0,
il faut davantage que des ingénieurs et des financiers. Il faut aller chercher
les idées germées dans le cerveau d’artistes, de philosophes, de designers, d’écologistes,
d’anthropologues et de théologiens »[39]…
Dans un article publié par les promoteurs de l’approche
« Shared Value » définie par le chercheur et consultant Michael Porter,
les auteurs documentent les initiatives réussies par plusieurs grandes
entreprises internationales, sans pour autant aller jusqu’à une réinvention
complète de leur modèle d’affaires : Dow Chemicals, Danone, Novartis,
Nestlé, Mars, Intel, HP, Vodafone, Coca-Cola, Verizon, Alcoa, Becton Dickinson,
GE, Kemira, Boehringer Ingelheim. Leur analyse montre que parmi les facteurs de
succès figurent la capacité à aménager le cadre le plus pertinent pour que
s’exprime l’innovation et la co-création avec les parties prenantes externes[40].
Ces facteurs s’ajoutent aux trois moyens de créer de la valeur partagée,
identifiés par Porter dans son article initial : reconcevoir les produits
et les marchés ; redéfinir la productivité dans la chaîne de valeur ;
construire des écosystèmes[41].
En termes de potentialité d’innovation, il me semble que les
quatre piliers de l’économie soutenable aujourd’hui sont : la digitalisation, l’économie
fonctionnelle, l’économie collaborative et l’économie circulaire. Chacun de ces
quatre piliers ont le même impact : diminuer l’intensité d’utilisation des
ressources pour une production donnée. Chacun apporte aussi des opportunités de
redéfinir les équilibres concurrentiels au sein des chaînes de valeur. Je
m’arrête un instant sur l’économie circulaire. « A la différence de
l’économie actuelle dite linéaire, l’économie circulaire s’efforce de ne pas
épuiser les ressources et permet de contrôler ou réutiliser ses rejets et
déchets », selon la définition de l’Institut INSPIRE. Nicolas Hulot la présente
comme un facteur de progrès essentiel car selon lui, dans l’économie linéaire
seuls 4% des inputs – matières premières, composants et énergie – sont présents
dans le produit final.
La fondation Ellen MacArthur[42]
a publié un rapport dédié à l'économie circulaire réalisé en collaboration avec
le cabinet de conseil McKinsey. Un premier volet intitulé « Arguments en faveur
d'une transition accélérée » a été présenté en janvier 2012 et le second sur «
Les opportunités pour le secteur des biens de consommation » un an plus tard. Le
premier volet, consacré aux biens durables (voiture, téléphone portable,
électroménager...) avait conclu à une économie nette annuelle de 380 milliards
de dollars pendant la période transitoire, puis 630 milliards lorsque le modèle
serait totalement adopté. Le second volet s’attache aux biens de consommation
courante, qui mobilisent 35 % des matières premières consommées, 60 % des
dépenses de consommation des ménages et 90 % de la production agricole. Il
prévoit une économie qui pourrait atteindre jusqu'à 700 milliards de dollars
sur les matériaux, soit quelque 1,1 % du PIB annuel mondial. A cela, il faut
ajouter plusieurs bénéfices « secondaires » en termes d'innovation, de
préservation des terres agricoles, ou encore de création d'emplois locaux peu
ou pas qualifiés[43].
En France, le plan recyclage fédère les acteurs autour de
111 projets de centres de tri ou de valorisation, représentant 785 millions
d’euros d’investissements. Là encore, ces projets sont riches en possibilités
de création d’emplois non délocalisables.
Renforcer le rôle du management et du dialogue social
Le management a un rôle essentiel à jouer pour garantir le
succès des politiques environnementales des entreprises. Une équipe
d’universitaires a montré que les salariés qui consacrent le plus d’attention
et d’effort pour atteindre les objectifs en matière d’environnement sont ceux
qui sont convaincus que ces questions sont importantes aux yeux de leurs
managers et dirigeants[44].
Pour cela, il est indispensable que les dirigeants s’en
emparent. De ce point de vue, on note un progrès significatif dans les
dernières années. Dans son rapport « Sustainability’s strategic
worth », McKinsey souligne que la proportion de CEOs (PDG) des grandes
entreprises mondiales qui font du développement durable leur première priorité
est passée de 3% en 2010 à 5% en 2012 puis 13% en 2014. Par ailleurs, les
motivations d’adopter le développement durable mises en avant par les
dirigeants changent : les principales motivations étaient la maîtrise du
risque de réputation et la réduction des coûts. Elles sont maintenant dépassées
par la volonté d’aligner le développement durable avec les objectifs
stratégiques de l’entreprise (devenue la principale motivation, signalée par
43% des dirigeants en 2014 contre 30% en 2012 et 21% en 2010). Les leviers de développement
durable les plus souvent cités par les dirigeants selon cette même enquête sont
la réduction des dépenses énergétiques (64%) et des déchets (63%).
Pour intégrer le développement durable au sein du
« moteur stratégique » de l’entreprise et le diffuser auprès des
salariés, il faut aussi en faire un objet de dialogue social. Or, nous en
sommes très loin aujourd’hui. Il est de bon ton de pointer les réticences de
certains syndicats vis-à-vis du développement durable et de la RSE. Cela n’est
pas faux, même si heureusement, les idées cheminent. Mais il faut aussi
considérer la frilosité de bon nombre de dirigeants. Dans l’enquête d’Accenture
et du Global Compact, il était demandé aux PDG de citer les trois parties
prenantes majeures pour leur politique de développement durable. Les
consommateurs ressortent comme la partie prenante la plus considérée (par 64%
des PDG), suivie par les salariés, le gouvernement, les collectivités territoriales,
les investisseurs, les autorités de régulation, les médias, le conseil d’administration,
les fournisseurs, les ONG, etc. Qui ferme la marche ? Les syndicats avec une
considération de… 4%. Pour ce qui concerne la France, le deuxième baromètre de
la fonction développement durable, menée auprès d'un échantillon de 57
entreprises du SBF 120, soulignait que « les syndicats ne sont cités comme
parties prenantes par les entreprises que dans 10 % des cas ». La question n’a
apparemment plus été posée dans les éditions ultérieures du baromètre…
Il existe un lieu de dialogue social dans lequel les enjeux
de développement durable et de RSE sont traités : une enquête a montré
qu’ils sont discutés dans presque deux tiers des Comités d’entreprise européens[45].
Mais ces derniers sont réservés aux entreprises de grande taille (au moins 1.000
salariés au sein de l’UE) installées dans au moins deux pays européens. Il est
donc indispensable que les Comités d’entreprise et les Comités de groupe s’en
saisissent, par exemple à l’occasion de la publication des rapports sociaux et
environnementaux.
Mobiliser les instances de gouvernance
Le développement durable et la RSE sont-ils correctement
connectés aux instances de gouvernance ? En France, d’après le baromètre
de la fonction développement durable, 18% des entreprises ont
doté leur Conseil d’Administration (CA) d’un Comité dédié à la RSE[46].
S’agissant de grandes entreprises (les entreprises du SBF 120), c’est peu. La
situation est évidemment meilleure au sein du CAC40, les très grandes
entreprises : d’après le 6ème baromètre annuel Capitalcom 2013 sur la RSE,
17 d’entre elles ont créé un comité RSE /DD au sein de leurs Conseils
d’Administration/Surveillance, ce qui représente moins de la moitié des très
grandes entreprises… mais un triplement par rapport à 2008[47].
La moitié des directeurs en charge du développement durable ou
de la RSE ont déclaré intervenir ponctuellement en CA… ce qui laisse supposer
que la moitié des CA des grandes entreprises françaises n’entendent pas parler
de ces enjeux ! L’Institut Français des Administrateurs (IFA), qui a fait
beaucoup pour inciter les CA à s’emparer des enjeux de développement durable et
de RSE, a présenté ses premières recommandations concernant le rôle des
administrateurs vis-à-vis de ces problématiques[48].
Clairement, les 6 recommandations retenues ne vont pas assez loin. Elles
faisaient pourtant suite à une enquête de l’IFA, qui soulignait «la prise de
conscience que la démarche RSE est un vrai différenciant stratégique dans
les secteurs grand public, fortement concurrentiels, tirés par l’offre, où
les business models se transforment »[49].
Pourtant encore, la capacité à maîtriser ses impacts
environnementaux fait désormais partie intégrante de la valorisation d’une
entreprise – et par conséquent de ses compétences-clé et de ses perspectives de
croissance. Un signe qui ne trompe pas : aujourd’hui, 63 % des entreprises
interrogées déclarent prendre en compte systématiquement des critères
environnementaux dans les processus de « due diligence » (évaluation
pré-transaction dans le cadre de processus de fusions ou acquisitions). C’est
davantage que les critères sociaux (44 %) et que les critères de gouvernance (38
%). Et les menaces considérées comme les plus importantes sont de plus en plus
« physiques » : sur la question environnementale par exemple, jusqu’à
présent les acquéreurs étaient très sensibles aux risques de réputation mais
désormais ce sont les risques opérationnels liés aux catastrophes climatiques
qui les inquiètent le plus[50].
A l’inverse, la non-maîtrise des risques environnementaux
constitue un frein à la croissance de plus en plus puissant. Dans le rituel annuel
et immuable du Forum économique mondial de Davos s’est installée la publication
du rapport « Global Risks», qui étudie 31 risques globaux qui pourraient «
avoir d'importantes incidences négatives dans de nombreux pays et dans une
multitude de secteurs d'activité s'ils se matérialisent »[51].
Ces risques systémiques sont regroupés en cinq catégories (économiques,
environnementales, géopolitiques, sociétales et technologiques) et mesurés en
termes de probabilité et d'impact potentiels. La dernière édition du rapport,
« Global Risks 2014 », met l’accent sur le creusement des inégalités
et des risques climatiques : « Le fossé persistant entre les revenus des
citoyens les plus riches et ceux des plus pauvres est considéré comme le risque
susceptible de provoquer les dégâts les plus graves dans le monde au cours de
la prochaine décennie ». Après la disparité des revenus, les experts
considèrent que « les événements météorologiques extrêmes sont le risque global
le plus susceptible de provoquer un choc systémique à l'échelle mondiale ». Ce
risque est suivi par le chômage et le sous-emploi, les changements climatiques
et les cyberattaques.
Conclusion
Les responsables politiques et les experts ont tendance à attendre
le salut de la crise du seul retour de la croissance : la croissance est
notre drogue dure. Mais sans une action déterminée sur la protection
environnementale, la menace écologique à
laquelle le monde est confronté ne peut que s’aggraver. Comment sortir de cette
contradiction ? En construisant la contre-addiction. C’est-à-dire en plaçant le
développement durable en tête des priorités, pour changer le contenu de la
croissance future.
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[1] « Je
voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement, parce que là aussi
ça commence à bien faire », avait déclaré Nicolas Sarkozy alors président de la
République au Salon de l’Agriculture de Paris, le 6 mars 2010. Interrogée sur
le plateau du JT de France 2 en avril 2014 sur l'annonce de la remise à plat de
l'écotaxe, la nouvelle ministre de l'Ecologie et de l'Energie, Ségolène Royal avait
déclaré qu'elle ne «voulait pas que l'écologie soit punitive».
[2] Dominique Méda,
conférence à la Maison des Sciences de l’Homme, Chaire Reconversion écologique,
travail, emploi et politiques sociales,
2 octobre 2012
[3] Agnès Michel,
Clélia Marty, Esther Finidori, Florian Mayneris, Pierre Musseau, « Pour une
politique sociale-écologique : protéger l'environnement et réduire les
inégalités », Note Terra Nova 14 avril 2014
[4] Fabrice
Lenglart, Christophe Lesieur, Jean-Louis Pasquier, Dossier INSEE, « Les
émissions de CO2 du circuit économique en France », L'économie française,
édition 2010
[5] DARA Group and Climate
Vulnerability Monitor: “A Guide to the Cold Calculus of a Hot Planet”, 2010
[6] D’après «
Les Echos », 4 aout 2014
[7] Par
exemple la fermeture et délocalisation partielle du site de Sanofi à Vitry en
2008.
[8] Accès à
l’eau potable, assainissement, mortalité infantile, pollution intérieure,
particules dans l’air urbain, ozone dans l’air, nitrates dans l’eau,
consommation d’eau, protection des régions sauvages, protection des écorégions,
exploitation forestières, surpêche, subventions agricoles, efficacité
énergétique, énergies renouvelables, émissions de CO2.
[9] Même
s’il faut remarquer que les dix premiers du classement ne comprennent que peu
de pays qui ont su préserver une part importante de l’industrie dans leur PIB
(Italie et Suède).
[10]
« La transition énergétique pour la croissance verte crée des
emplois », document du ministère de l’Ecologie, juillet 2014
[11] Guillaume
Sainteny, rapport du Centre d’analyse stratégique sur la fiscalité
environnementale et les conséquences des aides publiques sur la biodiversité
(octobre 2010), auteur de « Plaidoyer pour l’écofiscalité », éditions
Buchet/Chastel, mai 2012
[12] Eloi
Laurent, “Social-écologie”, Flammarion, mars 2011
[13] «
Enjeux environnementaux et question sociale : pourquoi et comment lier justice
sociale et écologie ? », CEDD, 12 mars 2013
[14] Richard
Wilkinson et Kate Pickett, « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous »,
Editions Les petits matins, 2013
[15] J. Ostry, A. Berg and C.
Tsangarides, « Redistribution, Inequality, and Growth », IMF Staff Discussion
Note SDN/14/02, 2014
[16] Qui
permettent de mesurer l’ampleur des inégalités de revenus ou de patrimoine
[17] « Pour
une politique sociale-écologique : protéger l'environnement et réduire les
inégalités », note citée ci-dessus
[18] Boston
Consulting Group France, « Réflexions sur le portefeuille de mesures Grenelle
environnement », juin 2009
[19] «
Doutes sur la création des 600 000 'emplois verts' », titrait par exemple en «
une » « Le Monde » du 30 juillet 2009, citant l'économiste Michel Didier
(Rexecode), qui remettait en cause la méthodologie de l'étude du BCG sur les
effets à attendre du Grenelle de l'environnement en matière d'emploi. « Il
manque cruellement aujourd'hui une étude sérieuse des effets économiques des
projets relatifs à l'environnement », estimait-il.
[20] International Labour
Organization, “Green jobs : facts and figures”, 2008
[21] « Green Jobs: Towards Decent Work
in a Sustainable, Low-Carbon World », CSI report, New York, September 2008
[22] Agnès
Michel, Clélia Marty, Esther Finidori, Florian Mayneris, Marine Girardé, Pierre
Musseau, « Economie verte : de la
théorie économique aux conclusions politiques », note Terra Nova, 14 octobre
2013
[23] Émilie
Ernst, « La responsabilité sociétale des entreprises : une démarche déjà
répandue », Insee Première, N° 1421, novembre 2012
[24]
« Pour une économie positive », rapport du groupe de réflexion
présidé par Jacques Attali, Fayard, septembre 2013
[25] Enquête
réalisée auprès de plus de 200 professionnels, menée par Produrable, en
partenariat avec BDO, Malakoff Médéric, et avec le soutien de l’ORSE (Observatoire
sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises)
[26] Insee Première,
N° 1421, citée ci-dessus
[27] Magali A. Delmas, and Sanja
Pekovic, “Environmental Standards and Labor Productivity: Understanding the
Mechanisms that Sustain Sustainability”, Journal of Organizational Behavior,
August 10, 2012 and Forthcoming
[28] « The business case for the green
economy », SustainAbility report, June 15, 2012
[29] Accenture & the World Economic
Forum, “The Green Investment Report: The ways and means to unlock private
sector finance for green growth”, 2013
[30] BBMG, GlobeScan and SustainAbility,
“Re:Thinking Consumption”, 2012
[31] Dixième
baromètre annuel Ethicity rendu public le 3 avril 2014 ; enquête menée par
Kantar Media auprès de 3 700 personnes.
[32] Dalibor
Frioux, Guillaume Cantillon, « Réinventer l’abondance, pour une politique des
consommations », Terra Nova, septembre 2012
[33] Cedric Vatier, « Cross-industry
ecosystems: Growth outside the box”, Accenture report, February 2013. Voir
également: “Cross-industry collaboration: Creating the enablers for disruptive
models,” Accenture, 2012
[34] « The UN Global
Compact-Accenture CEO Study on Sustainability 2013 : Architects of a Better
World », September 2013
[35] David Kiron, Nina Kruschwitz, Knut
Haanæs, Martin Reeves, and Eugene Goh, “The Innovation Bottom Line”, February
5, 2013
[36] “Fifth State of Sustainable
Business Survey 2013”, Business for social responsibility (BSR) Report, October
2013. 55% des répondants étaient basés en Amérique du Nord et 25%
en Europe.
[37] Milton Friedman, « The Social
Responsibility of Business is to Increase its Profits », « The New York Times
Magazine », September 13, 1970
[38] « The UN Global Compact-Accenture
CEO Study on Sustainability 2013 : Architects of a Better World », September
2013. Les participants à cette enquête, membres du Global Compact (Pacte
mondial des entreprises), sont plus avancés dans leur engagement vis à vis du développement
durable que les “entreprises ordinaires”.
[39] Gary
Hamel, « What matters now », février 2012, version française : "Ce qui
compte vraiment", Editions Eyrolles, septembre 2012
[40] Marc Pfitzer, Valerie Bockstette,
and Mike Stamp, “Innovating for Shared Value”, Harvard Business Review,
September 2013
[41] Michael Porter and Mark R. Kramer, “The Big
Idea: Creating Shared Value, How to reinvent
capitalism – and unleash a wave of innovation and growth », Harvard Business
Review, January–February 2011
[42] Fondée
par la navigatrice anglaise connue pour ses prises de position en faveur de
l'écologie.
[43] Voir :
Dominique Pialot, « 700 milliards de dollars économisés grâce à l'économie
circulaire », « La Tribune », 29 janvier 2013
[44] David E. Cantor, Paula C. Morrow
and Frank Montabon. “Engagement in Environmental Behaviors among Supply Chain
Management Employees: An Organizational Support Theoretical Perspective.”
Journal of Supply Chain Management 48.3, July 2012, 33–51
[45] R. Jagodzinski, N. Kluge and J.
Waddington, Memorandum, “European Works Councils: Recommendations for policy
making based on current experiences”, Brussels, ETUI-REHS, 2008
[46] « Troisième
baromètre de la fonction développement durable dans les entreprises du SBF 120 »,
publié par le groupe Adecco et l'IAE Gustave Eiffel (université Paris-Est
Créteil), le 4 avril 2013
[47] 6ème baromètre
annuel Capitalcom 2013 sur la performance responsable / RSE au sein du CAC 40,
7 octobre 2013
[48] IFA, «
La RSE au service de la stratégie de l’entreprise et de la création de valeur :
les travaux de l’IFA », 28 mars 2014
[49] Enquête
réalisée fin 2013 par Rivoli Consulting et PwC auprès de 30 conseils
d’administration d’entreprises de toutes tailles, de tous secteurs, cotées et
non cotées. Voir également « Le conseil joue-t-il bien son rôle dans
l'orientation et le suivi de la stratégie ? », La lettre de l’IFA No 25,
janvier 2013.
[50] « The Integration of Environmental,
Social and Governance Issues in Mergers & Acquisitions Transactions – Trade
Buyers Survey Results, PriceWaterhouseCoopers, december, 2012. Rapport commandé
par l’initiative PRI (Principes pour
l’investissement responsable de l’ONU). La majorité (75%) des entreprises
interrogées - de juin à octobre 2012 - appartiennent au FTSE 350, ont leur
siège en Europe (principalement au Royaume-Uni), Canada ou Etats-Unis et ont
développé une stratégie de développement durable.
[51] Le
rapport 2014 a été élaboré grâce à la contribution d'experts des sociétés Marsh
& Mc Lennan, Swiss Reinsurance, Zurich Insurance Group, de l'Oxford Martin
School (université d'Oxford), de l'université nationale de Singapour et du
Wharton Center for Risk Management (université de Pennsylvanie).
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