Il
est temps de redonner du poids à la parole individuelle et collective des
salariés. L’expression directe des salariés au travail est une voie de
progrès mise en avant par l’accord interprofessionnel sur la qualité de vie au
travail signé le 19 juin 2013. C’est aussi un axe de RSE (responsabilité
sociale) particulièrement concret et visible. Et c’est surtout une démarche de
renforcement des relations humaines, un levier de compétitivité, qui vous
permet de favoriser la motivation, la cohésion d’équipe et l’innovation. Voyons
quelles sont les conditions de sa réussite:
1) Définissez
vos objectifs
La
question n’est pas de savoir si vous devez ou non permettre l’expression des
salariés au travail dans votre entreprise ou votre organisation. Elle existe
déjà. Les trois-quarts des salariés interrogés déclarent parler régulièrement
de leurs conditions de travail au sein de leur entreprise[1]. Mais cette parole
s’exprime dans l’informel. La vraie question est donc de savoir si vous allez
ou non organiser cette expression, lui conférer une valeur d’effectivité,
montrer qu’elle est à même de transformer le réel, au service de la qualité de
vie au travail et d’une meilleure performance globale. En d’autres termes, il
s’agit simplement de formaliser cette démarche d’expression et de la connecter
à vos processus de gestion (conduite du changement, prévention des risques
professionnels, innovation, communication interne) et cela sans lui ôter son
caractère spontané et mobilisateur.
En
encourageant vos salariés à parler ouvertement et dans un cadre sécurisé des
difficultés de leur travail et de sa contribution à l’accomplissement de
chacun, vous lancez un signal d’attention à même de changer le climat
social : oui, les dirigeants sont à l’écoute, se soucient du bien-être des
salariés, s’intéressent à leur vision, à leurs propositions. Comme tout projet
de transformation, cette démarche doit faire l’objet d’un engagement fort de la
direction générale. Celle-ci doit communiquer clairement ses intentions, les
règles du jeu et se poser comme garante de son efficacité et de son
authenticité.
La
démarche d’expression des salariés est un acte managérial fondateur.
2) Centrez
le contenu de la démarche d’expression sur le travail
Je
recommande un fort ancrage de la démarche sur le travail et notamment sur ses
dimensions collectives, sur les pratiques professionnelles, sur les métiers et
les compétences requises, sur les conditions DE travail et DU travail. Cela permet d’éviter d’empiéter sur les domaines de
compétence d’autres dispositifs (cercles de qualité, entretiens d’évaluation,
etc.). Cela permet surtout de rendre une forte visibilité au travail, que des
décennies de « reengineering » et de management par les objectifs ont
enseveli sous les process et les indicateurs. C’est bien d’ailleurs le travail,
qui se trouve au cœur des échanges entre salariés, tels qu’ils se déroulent
aujourd’hui. Une enquête de l’ANACT a montré que les sujets les plus
fréquemment abordés entre collègues sont les relations de travail, le contenu,
l’organisation du travail, l'évolution professionnelle, la sécurité et les
conditions physiques du travail, la conciliation de la vie professionnelle et
de la vie privée. Vous constaterez ainsi qu’aucun des processus de gestion déjà
en place dans votre entreprise ne permettait de rendre compte du travail dans
ses réalités complexes.
La
démarche d’expression des salariés est un dispositif de management, qui vient
s’insérer dans votre existant.
3) Construisez
les modalités de l’expression avec les représentants du personnel
Les
modalités de la démarche d’expression doivent être déterminées en concertation
avec les partenaires sociaux. Les syndicats peuvent s’inquiéter d’une démarche
qui peut apparaître à leurs yeux comme concurrente de leur rôle de représentation
de la parole des salariés et de
transformation de son contenu en plateforme revendicative. Mais du point
de vue de l’entreprise, puisque cette démarche vise à s’extraire de la communication
verticale et descendante habituelle, il faut accepter en cohérence, d’en
partager l’organisation et les fruits avec les parties prenantes et notamment les
représentants du personnel. Ces derniers sont d’ailleurs à la recherche de
moyens pour renouer avec une connaissance plus intime du travail. Leur
implication constitue un gage de la liberté de parole vis-à-vis des salariés.
Il faut donc prévoir des points de rencontre dans la démarche avec les organisations
syndicales mais aussi permettre aux comités d’établissement et aux CHSCT de se
nourrir du contenu des échanges et d’apporter leur point de vue sur les
thématiques abordées.
La
démarche d’expression des salariés n’est pas en concurrence avec le dialogue
social. Elle le nourrit.
4) Veillez
à l’articulation avec le management intermédiaire
La
liberté de parole au sein des groupes d’échange nécessite de mettre à distance
l’autorité hiérarchique. Mais l’erreur serait d’en déduire que les managers
doivent être exclus de la démarche. Ils doivent au contraire être intégrés dans
son pilotage et dans son exécution, notamment en animant certains des groupes
d’échange. On évitera simplement que des salariés se trouvent dans des groupes
animés par un de leurs managers. La démarche d’expression ne va pas de soi pour
les managers, qui peuvent légitimement craindre de se trouver court-circuités,
surchargés par des tâches supplémentaires, déstabilisés dans leur maîtrise des
circuits de l’information et du pouvoir. Il faut donc les renforcer dans leur
rôle de hiérarchisation et d’analyse des propositions remontées du terrain,
tout en valorisant le caractère transversal de leur contribution. Il faut
également que les managers disposent eux-aussi de groupes d’expression qui leurs
permettent de partager et de confronter leurs points de vue entre pairs. La
démarche d’expression des salariés constitue pour eux un socle pour refonder
leur pratique managériale sur des bases plus riches en relations humaines, en
compréhension des contraintes de leurs équipes, en capacité à établir la
confiance.
La
démarche d’expression des salariés contribue à renouveler les pratiques et la
relation managériales.
5) Redéfinissez
un rôle réellement stratégique pour la DRH
Si
la Direction générale est l’initiateur et le garant de la démarche
d’expression, la DRH en est l’architecte. C’est à elle de définir, en
concertation avec les parties prenantes, les éléments clés : composition et
fonctionnement des groupes d'échange, définition du champ de l'expression,
méthode d'animation, formation associée, valorisation des contenus produits,
articulation avec le dialogue social, communication interne,…
Les
composantes de l’entreprise apparaissent aujourd’hui comme de plus en plus
éclatées : communication entre dirigeants et salariés vide de sens et
d’envie, opposition entre fonctionnels et opérationnels, luttes de territoire
entre les équipes. C’est à la DRH de se saisir du travail comme le thème
fédérateur, qui va permettre de retisser du lien social et de fédérer ces
composantes autour d’un projet mobilisateur, construit par les salariés
eux-mêmes. C’est aussi à la DRH, si vous choisissez de procéder par
expérimentation, de préparer, d’organiser et d’évaluer les projets tests. La
DRH, aujourd’hui trop cantonnée à l’accompagnement social du changement y trouvera
matière à refonder sa légitimité et redevenir un interlocuteur qui pèse sur la
préparation et la conduite du changement dans l'entreprise (voir : « DRH V2.0 : L’architecte de la qualité de vie au travail », 28 octobre 2013).
La
démarche d’expression des salariés est la contribution de la DRH pour redonner
du sens au travail, puis injecter du sens au projet d’entreprise.
6) Concevez
l’expression comme une voix et une voie pour la RSE (responsabilité sociale des
entreprises)
La
parole publique prend des formes multiples dans notre société : états
généraux, « grenelles », conférences de citoyens, modèle délibératif nouveau,
consultations sur les réseaux sociaux, enquêtes d'utilité publique, démocratie
participative,... Comment croire que l'entreprise restera hermétique à cette
poussée de la parole ? D'autant que la technologie amplifie son écho : internet
et les réseaux sociaux brisent la verticalité et les monopoles de l'information
; le Web 2.0 favorise l'interactivité du dialogue. L’entreprise doit accueillir
positivement cette poussée, l’organiser et l’entremêler avec son fonctionnement
usuel, plutôt que de l’ignorer, ce qui reviendrait à la laisser à la merci de
l’informel (rumeurs, conflits larvés, souffrance au travail qui couve sous la
cendre sans débouché d'expression, etc.). Comme la RSE, l’expression des
salariés au travail fait évoluer le management des organisations pour évoluer
de la verticalité du contrôle vers l'horizontalité de la régulation.
La
démarche d’expression des salariés replace le travail et les hommes – qui ne
sont pas une partie prenante comme les autres, mais plutôt une « partie
constituante » -- au centre des organisations, de leur fonctionnement et de
leur visée stratégique.
7) Faites
de l’expression des salariés un levier de performance
Les
premières expériences montrent que les craintes de voir l’expression des
salariés se réduire à des plaintes, des attaques contre le management ou des
demandes non maîtrisables sont pour l’essentiel infondées. Mais la démarche
d’expression ne doit pas tenir la question de la performance à distance. Au
contraire, il faut que la qualité du travail et la performance économique
soient associées comme dialectique créatrice d’une démarche de progrès, tendue vers la volonté d’agir individuellement et
collectivement.
L’expression
des salariés contribue à forger une fierté professionnelle partagée, une
véritable reconnaissance collective du travail, source de motivation et
d’engagement. Elle solidifie la cohésion au sein des équipes et entre elles.
Elle fait émerger les dysfonctionnements, les irritants, les sources de tension
qui obèrent l’efficacité et le bon déroulement du travail. Enfin, elle contribue
à la construction d’une organisation du travail favorable à la performance et à
la qualité de vie au travail, reposant sur la mobilisation des capacités
d'initiative, l’autonomie professionnelle, l'intelligence collective et la capacité
de coopération (voir : « Les organisations du travail participatives: les 5 piliers de la compétitivité », 12 septembre 2013).
La
démarche d’expression des salariés est un point d’appui pour votre transition
vers un nouveau modèle de compétitivité. Dans ce nouveau modèle, la performance
dépend de l’amélioration continue de votre capacité collective à s'adapter aux
demandes de vos clients et usagers, toujours plus différenciées et versatiles,
à résoudre les problèmes et les imprévus sur le terrain, au plus près de leur
origine.
Si
vous souhaitez aller plus loin sur ces 7 bonnes pratiques, je vous invite à
consulter deux articles que j’ai publiés l’été dernier pour Metis Europe, qui proposent
pour chacune d’entre elles des
illustrations, des témoignages et des exemples concrets.
Conclusion :
construisez le dialogue professionnel dans votre organisation
S’il
est un mot qui caractérise la démarche d’expression des salariés, c’est celui
de dialogue.
C’est
d’abord un dialogue au sens du lien qui reconnecte les collaborateurs avec les
dirigeants. Comme le résumait Philippe Davezies, enseignant-chercheur en
médecine et santé au travail à l’Université de Lyon, « la situation
actuelle dans laquelle une foule de professionnels extérieurs (consultants,
services de santé au travail, services sociaux, etc.) s’interposent entre
salariés et directions pour pallier un déficit de discussion témoigne d’une
situation sociale franchement pathologique »[2]. On ne saurait mieux dire…
C’est
ensuite un dialogue au sens de la régulation. On connaît les apports – mais aussi
les limites – du dialogue informel, du dialogue managérial et du dialogue
social. Le quatrième dialogue, qu’il faut tisser avec les trois précédents, est
le dialogue professionnel. Il est indispensable à l’heure où le modèle
taylorien, fondé sur la dissociation entre les décideurs et les exécutants, devient
un handicap dans un monde où les niveaux de formation et d’autonomie des
salariés se sont accrus.
C’est
enfin un dialogue qui s’enroule autour du travail. Mathieu Detchessahar, professeur
au Laboratoire d'Economie et de Management Nantes-Atlantique (LEMNA) de l’Université
de Nantes le souligne avec force : « Nous appelons à un management
par la discussion, c’est-à-dire à une action de conception des conditions
managériales et organisationnelles de soutien à la discussion sur le travail. Ce
management ne vise pas à autre chose qu’à refaire du travail un objet central
du management. En ce sens, un management par la discussion est avant tout un
management du travail. »[3]
C’est
le moment de cultiver le dialogue sur le travail.
Martin
RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises
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un courriel de confirmation.
[1] ANACT
(Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), « Comment les
salariés s'expriment-ils sur le travail et les conditions de travail ? Les
résultats du sondage ANACT / CSA », 22 octobre 2012. Enquête réalisée à
l’occasion de la 9ème édition de la Semaine pour la qualité de vie au travail,
auprès de 1 011 salariés actifs français, interrogés par le groupe CSA, via
Internet, entre le 5 septembre et le 15 septembre 2012.
[2] Philippe
Davezies, « Enjeux, difficultés et modalités de l’expression sur le travail :
point de vue de la clinique médicale du travail », Pistes (Perspectives
interdisciplinaires sur le travail et la santé), novembre 2012
[3] Mathieu
Detchessahar, « Faire face aux risques psychosociaux : quelques éléments d’un
management par la discussion », revue Négociations No 19, éditions de Boeck,
2013
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