Est-ce
une maladie honteuse ? Les entreprises et les organisations sont
confrontées à un problème majeur : le désengagement de leurs salariés. La
plupart n’en parlent pas. Elles savent qu’il n’y a pas de vaccin sur étagères. Ce
problème est plus dévastateur que la crise financière de 2008 ; il vient
de plus loin ; ses racines sont plus profondes. Ce problème, c’est celui
de la crise du sens.
Cette
crise du sens est l’une des explications à la diversité de la situation de nos
organisations face à la crise. Certaines ne font que subir son impact
dévastateur et sont entrées dans la spirale des restructurations mal conduites, de la montée
des risques psychosociaux, de l’installation de la démotivation des salariés.
Pourtant, d’autres organisations, parfois dans les mêmes secteurs d’activité,
confrontées au même jeu de contraintes, réussissent à tirer leur épingle du jeu
en inventant des bonnes pratiques, en trouvant les voies d’une performance
durable.
Je
suis frappé par ce que nous disent les expériences de ces entreprises : la
capacité à travailler collectivement sur la finalité et le sens est un facteur
clé de succès pour la sortie de crise. Or affronter cette crise du sens n’est
pas chose aisée : cela suppose d’ouvrir trois chantiers de progrès.
1 - Réintroduire le temps et les parties prenantes dans la performance
Donner
du sens, c’est d’abord engager une réflexion collective sur l’utilité sociale
de l’entreprise, sur la place que veulent y prendre les individus qui y
travaillent, sur les enjeux affrontés, sur les objectifs qu’il convient de
s’assigner. Oui mais… Cette utilité, ces enjeux, ces objectifs : pour
qui ? Si l’entreprise ne travaille que pour une seule de ses parties
prenantes – l’actionnaire – comment espérer créer de l’engagement, de la
motivation ? Il faut donc travailler sur l’identification des parties
prenantes, c'est-à-dire, les ‘porteurs d’enjeux’ (traduction littérale du terme anglo-saxon de ‘stakeholder’). Les objectifs de performances peuvent alors être
construits en fonction de l’équilibre des attentes et des motivations de ces
parties prenantes : actionnaires, clients ou usagers, sous-traitants,
société civile, etc. C’est ce que j’appelle la performance globale.
Cet
élargissement permet aussi de favoriser les engagements sociétaux des salariés
(par exemple dans l’associatif, l’humanitaire) en abondant l’investissement
temps du collaborateur par une contribution de l’entreprise sur le temps de
travail. Ces actions ne doivent être ni dissimulées, ni récupérées : il
faut trouver le juste milieu pour faire connaître, inciter, rechercher les
cohérences avec la stratégie de l’entreprise, sa politique RH et ses
engagements (exprimés ou non dans la politique de RSE ou de développement
durable).
De
même, la performance durable (ou ‘soutenable’) ne peut se comprendre sans la
durée. Les objectifs trop décalés de la croissance réelle de l’économie et
sanctionnés sur une période trop courte, par exemple les exigences rituelles de
rentabilité à 15%, ne peuvent que créer de la souffrance : destructions
d’emplois, faillites des sous-traitants, dommages créés sur l’environnement,
dégradation des conditions de travail, stress.
2 - Donner sa place à l’adhésion dans la conduite du changement
Toutes
les études le montrent : malgré cinq décennies de recherches et
d’expériences sur la conduite du changement, deux projets de transformation sur
trois échouent. Pourquoi un tel taux d’échec ? Parce que les dirigeants ne
prennent plus le temps et l’énergie nécessaires de mettre le changement en
débat avant de le déployer. Parce qu’ils se sont progressivement éloigné des
réalités de terrain (lorsqu’un patron du CAC 40 gagne en moyenne 554 années de
SMIC, peut-il appréhender le jeu de contraintes, le quotidien des ouvriers qui
travaillent dans ‘son’ entreprise ?). Parce qu’ils ne cherchent trop
souvent ni l’adhésion ni même la discussion.
Donner
du sens, c’est redonner aux salariés des espaces de discussion sur la qualité
de leur travail, du pouvoir d’agir, c'est-à-dire la capacité de mettre en
controverse leur environnement de travail et d’être partie prenante dans son
évolution[1].
3 - Reconstruire le management et le dialogue social
On pourra s’étonner
de trouver cet accolement entre management
et dialogue social. Et pourtant, il
s’agit bien des deux modes privilégiés de régulation sociale, pour reprendre le
terme utilisé par l’ANACT[2]. Comment
espérer que le projet stratégique, l’utilité sociale de l’entreprise, les
valeurs qu’elle veut promouvoir soient appropriés par les salariés si ils ne
sont pas portés par le management ? Or, disons-le au risque de
choquer : le management de proximité (ou management ‘intermédiaire’, comme
on le dit très justement) a fait l’objet d’un redoutable
« downsizing » dans bon nombre d’entreprises. Au point où une enquête[3] publiée début 2011 montre que les
managers de proximité ne consacrent que 10% de leur temps à l’accompagnement de
leurs équipes, soit 90 minutes par collaborateur et par mois. La confrontation
et la fabrication du projet d’entreprise, la transformation des priorités
stratégiques en objectifs collectifs et individuels assortis des moyens
appropriés, cette médiation du sens, de la finalité est passée aux
oubliettes ! Le rapport « Lachmann- Pénicaud- Larose »[4],
remis en février 2010, avait pourtant dit l’essentiel : la santé des
salariés est d'abord l'affaire des managers, elle ne s'externalise pas.
De
la même façon, le sens ne peut s’incarner que s’il est mis en débat. Or combien
de chefs d’entreprise sont-ils prêts à s’engager dans un dialogue social
authentique, compris comme une discipline utile, une opportunité d’enrichir
leurs projets, un espace de négociation et enfin comme un levier de conduite du
changement ? Le dialogue social en France reste très théâtralisé, très
formel et très éloigné de la négociation sociale. Or, sans confrontation, le
sens reste confiné à l’incantation. C’est dommage car là encore, les dirigeants
qui considèrent les représentants du personnel comme de vrais interlocuteurs
marquent de points dans leur capacité à incarner leur vision et à la partager
au sein de l’entreprise.
Ces
trois chantiers de progrès vous permettront de dépasser cette crise du sens. Ils
vous permettront de donner chair à votre politique RSE, à la fois dans sa
méthode de construction et dans son contenu concret. Ils forment le creuset
d’une nouvelle finalité : l’ambition partagée, qui repose sur la cohérence
des politiques et la cohésion des équipes.
La finalité, c’est la barre fixe du
danseur, le point d’appui qui permet d’ancrer les mouvements.
Martin
RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises
NB :
Cet article est extrait (avec l’autorisation de l’auteur) de la contribution
que j’avais publiée dans le livre de Philippe Rodet et Romain Bourdu, « Se protéger du stress et réussir : sept leviers de motivation », Eyrolles, septembre
2011. Ce livre incorpore, dans une approche très pragmatique, les contributions
de plusieurs praticiens du monde du management et de la santé au travail. Ses
préconisations n’ont (malheureusement) pas pris une ride… Pour en savoir plus
sur cet ouvrage, cliquez sur son titre ci-dessus.
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[1] Yves Clot, « Le travail à cœur -- Pour en finir
avec les risques psychosociaux », « La Découverte », mai 2010
[2] Agence nationale
pour l'amélioration des conditions de travail. Voir Henri Rouilleault et Thierry
Rochefort, « Changer le travail ; oui mais ensemble », ANACT,
octobre 2005
[3] SYNTEC Conseil en management, 6
janvier 2011
[4] Rapport « Bien-être et
efficacité au travail », rédigé par Muriel Pénicaud, directrice générale
en charge des ressources humaines de Danone, Henri Lachmann, président du
conseil de surveillance de Schneider Electric, et Christian Larose (CGT),
vice-président du Conseil économique, social et environnemental.
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