Cette
année, la traditionnelle Semaine pour la qualité de vie au travail organisée
par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail)
était placée sous le thème des espaces de discussion au travail. Excellent
choix, car la diversité des expérimentations de ce nouvel outil de management
du travail appelle une prise de recul. Le colloque national, qui s’est tenu à
Paris le 15 juin 2015, s’est ouvert avec la présentation des résultats de
l’enquête d’Harris Interactive intitulée « Les espaces de discussion au
travail. Parler de son travail : comment ? Avec qui ? Pour quelles finalités »[1].
Cette enquête apporte des enseignements utiles pour les entreprises qui
conduisent des projets d’expression directe ou de mise en place d’espaces de
discussion. Je les résume dans cet article, qui renvoie également à ma liste
des 7 bonnes pratiques pour réussir ces projets.
Inciter à l’action…
La
mise en place d’espaces de discussion est plébiscitée à un niveau très élevé : elle
est perçue comme une bonne chose par 94% des salariés, et plus encore dans les
plus grandes entreprises ! Malgré cet atout, l’existence de ces espaces est
encore confidentielle : seuls 23% des salariés déclarent en bénéficier
aujourd’hui, dont 15% qui y ont effectivement participé. Parmi ceux qui y ont
participé, 81% les ont jugés utiles. Les chiffres de l’enquête confirment donc
le caractère encore émergent de la démarche, qui contraste avec son
appréciation très positive perçue par les salariés, en termes de cohésion, de
santé au travail, de prévention des risques psychosociaux, de qualité des
relations professionnelles, de responsabilité sociale.
Centrer le périmètre de l’expression sur le travail
« Les
salariés souffrent moins des exigences du travail que de ne pouvoir en parler, »
a déclaré le sociologue Pascal Ughetto, lors de son allocution. De fait, l’enquête
montre que les trois sujets dont les salariés souhaitent le plus fortement
parler sont les difficultés rencontrées dans le travail (aspect cité comme
prioritaire par 47% d’entre eux), l’ambiance et les relations de travail (46%) et
enfin la charge de travail (44%). A l’inverse les thématiques touchant à l’organisation
de l’entreprise, son organigramme ne sont cités que par 10% des salariés. Le
sujet est donc bien le travail et ses conditions de réalisation.
Les
salariés désirent conduire cette expression sur le travail dans un
environnement préservé du lien hiérarchique. Ils souhaitent à 62% que les
échanges soient animés par une personne neutre, extérieure à l’entreprise, et à
61% que les représentants du personnel soient présents. Je considère pour ma
part, que le cadre de déroulement de cette expression des salariés doit être soigneusement
défini, co-construit avec leurs représentants et communiqué en toute
transparence.
Penser aux débouchés concrets sans pour autant imposer l’utilitarisme
Il
ne faut pas se limiter aux aspects utilitaires dans les bénéfices attendus des
espaces de discussion. Les trois avantages spontanément cités par les salariés
sont d’abord la liberté d’expression (33%), ensuite la cohésion des équipes
(20%) et enfin l’amélioration des conditions de travail (17%). On constate ainsi
la superposition de besoins d’exister par soi-même, en relation avec les autres
et d’avoir prise sur le réel. Les salariés signalent également la résolution de
problèmes au bénéfice de l’entreprise (16%) et les gains de productivité
associés (8%). Ces attentes expriment le caractère inclusif des parties
prenantes de la démarche : tout le monde peut y gagner, l’individu, le
collectif, l’entreprise.
L’opportunité pour la DRH de combler son déficit en termes de dialogue professionnel
Dans
bon nombre d’entreprises, je constate que la direction des ressources humaines
et ses collaborateurs se sont laissés absorber par le formalisme du dialogue
social et des process de GRH. De ce fait, ils ont perdu ce qui fait leur force
au sein de l’entreprise : la compréhension fine du travail, de ses
difficultés et de ses accomplissements, de la façon dont les salariés se l’approprient.
La mise en place des espaces de discussion, dont la DRH est l’architecte, est l’opportunité
de revenir dans le jeu.
L’enquête
donne un aperçu de la distance entre la DRH et le dialogue sur le travail. Les
salariés estiment qu’il est très facile, dans leur entreprise, de parler de
leur travail avec les collègues de leur service ou de leur équipe (à 48%) ou
d’autres services (à 31%) et même avec leur supérieur hiérarchique (à 32%). En
revanche, ils ne trouvent pas la même facilité avec les « interlocuteurs
institutionnels » comme les représentants du personnel (27%) et encore moins
les RH (13% seulement !). Parmi les 12 sujets de discussion proposés, ceux
qui sont abordés le plus facilement sont ceux qui concernent les préoccupations
quotidiennes : l’ambiance de travail en tête, suivie par l’environnement
de travail (moyens alloués, etc.) et les difficultés rencontrées. A l’inverse,
les sujets les plus difficilement abordés sont ceux liés à la stratégie, aux
réorganisations et pour le plus difficile… la politique RH de l’entreprise !
Refonder le rapport au management
Bonne
nouvelle issue de l’enquête : les salariés n’ont pas pour tentation d’utiliser
les espaces de discussion pour mettre leur manager en ‘porte-à-faux’. Au
contraire, ils jugent leur supérieur hiérarchique direct comme étant l’interlocuteur
le plus important dans cette démarche (69%), devant les collègues proches (64%)
puis, ensuite, la direction de l’entreprise (32%). L’enquête dévoile l’étendue
de la désertion du travail dans la relation managériale. Alors que 64% des
salariés disent avoir suffisamment l’occasion de parler de leur travail de
manière informelle avec leurs collègues, ils ne sont que 44% lorsqu’il s’agit
de leur manager.
A
une très forte majorité (93%), les salariés attendent avant tout de ces espaces
qu’ils débouchent sur des actions concrètes, des décisions pour améliorer les
conditions de travail. Le rôle du management est donc déterminant pour
opérationnaliser les débouchés de cette démarche, qui se révèlerait extrêmement
frustrante en leur absence. Pour 83% des salariés, la mise en place de ces
espaces permet aux managers de mieux anticiper, connaître et résoudre les problèmes.
Pour 81% d’entre eux, elle contribue à l’amélioration des relations entre
salariés et managers de proximité.
Les espaces de
discussion constituent un outil de RSE car ils permettent de travailler en
profondeur sur la qualité de la relation avec les parties prenantes. Or, dans
bon nombre d’entreprises, année après année, insidieusement, un fossé s’est
créé jusqu’à former ce qu'Altedia a qualifié de « crise de confiance dans la
relation employeurs - salariés », mise en évidence par son enquête publiée en
novembre 2009 : seuls 39% des salariés pensent que dans leur entreprise (ou
leur administration), les intérêts des dirigeants et des salariés vont dans le
même sens. Cette crise de confiance n'est pas seulement le résultat des
contraintes de la mondialisation ou des excès du capitalisme moderne : cette
affirmation est exprimée par une proportion de salariés encore plus faible dans
le secteur public (30%) que dans le privé (41%). Combler ce fossé passe par l’expression
sur le travail, sur ses contraintes, ses difficultés, la fierté qu’il procure,
la maîtrise du geste ou de l’attitude professionnelle,…
A l’heure
où bon nombre d’entreprises cherchent les moyens concrets de recréer la
confiance et de réinstaller des relations professionnelles riches et utiles, les
espaces de discussion sur le travail apportent une réponse pertinente. Ils
permettent aussi d’aborder de front les problématiques multiples du travail et
ainsi, de souder les équipes et de préparer les organisations au changement.
Si
vous souhaitez aller plus loin dans la construction d’espaces de discussion au
travail, je vous propose la liste des 7 bonnes pratiques que j’ai construite au
fil de mes expériences : L’expression des salariés au travail : 7 bonnes pratiques pour réussir.
Martin RICHER,
consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management
& RSE
Image :
Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey par Louis Léopold BOILLY (Musée du
Louvre)
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[1] Enquête
réalisée en ligne par Harris Interactive, du 23 mars au 1er avril 2015 auprès
d’un échantillon de 1 000 salariés actifs en France, âgés de 18 ans et plus
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