Une année s’achève, une autre commence… et la RSE
progressivement s’impose. La Responsabilité Sociale des Entreprises n’est pas
un supplément d’âme, un catalogue de bonnes intentions décoratives ou l’une de
ces modes managériales aussi anecdotique qu’éphémère. Au contraire, la RSE
s’impose parce qu’elle suscite un nouveau rapport au travail, à l’entreprise et
à l’avenir. Au-delà des péripéties, la RSE est là pour durer. Voici les 7
raisons pour lesquelles les dirigeants et les managers doivent non seulement
s’y intéresser, mais s’y investir.
La RSE est une démarche de conviction
Chacun d’entre nous joue plusieurs rôles sociaux : nous
sommes salarié ou acteur de la vie économique, citoyen, consommateur, parfois
actionnaire de notre entreprise ou d’une autre, etc. Mais nous sommes avant
tout une personne et ces différents rôles ne sont plus cloisonnés : au
contraire, nous entendons qu’ils se nourrissent mutuellement et c’est dans ces
échanges que nous trouvons notre cohérence, que nous affirmons notre
personnalité. Les nouvelles générations forment l’avant-garde de ces
évolutions, notamment les jeunes que l’on appelle les « Millennials »[1]
parce qu’ils sont devenus adultes au tournant du millénaire. Ces jeunes sont en
train de prendre leurs responsabilités de management dans les entreprises. Dans
10 ans ils représenteront 75% des salariés dans le monde et seront en charge de
l’avenir de nos entreprises, de nos gouvernements. Cette génération n’a pas la
même hiérarchie de valeurs que les précédentes. Elle est davantage consciente
des impacts de ses activités sur la société et sur l’environnement. Elle est
fortement demandeuse de possibilités de mettre en action des comportements
responsables.
Dès 2011, le cabinet PWC attirait l’attention sur les
changements provoqués par cette génération sur le rapport au travail[2].
Cette enquête réalisée auprès des Millennials dans 75 pays mettait en évidence
une hiérarchie des attentes professionnelles inusitée. Interrogés sur leurs
motivations pour accepter un travail, ils citent en priorité, pour 65% d’entre
eux, les perspectives de développement personnel et à 36% la réputation de
l’entreprise, loin devant le poste lui-même (24%), le salaire proposé (21%), le
lieu de travail et le secteur d’activité (20% chacun). Cela ne signifie
nullement que cette génération se prosterne en adoration devant la RSE : les
deux dernières motivations citées sont d’ailleurs le respect de l’éthique (pour
7% seulement) et le comportement responsable de l’organisation (pour 5%). Mais
la RSE passe par d’autres canaux, ceux du respect de la personne, des valeurs
et de la capacité de l’entreprise à assumer la pleine responsabilité de ses
impacts. Ainsi, 59% d’entre eux sont attirés par les entreprises qui partagent
leurs propres valeurs sociétales et environnementales et 56% seraient prêts à
quitter leur employeur si celui-ci les déçoit en matière de respect de ces
valeurs.
Une nouvelle étude menée par MSLGROUP dans 17 pays sur les «
Millennials », vient encore de rappeler l’importance placée dans le rôle social
et environnemental de l’entreprise[3]
:
- 83% de ces jeunes estiment que les entreprises doivent s’impliquer dans les enjeux sociétaux ;
- 79% souhaitent qu’il soit plus facile de connaître les initiatives prises par les entreprises dans ce sens ;
- 72% soutiennent et recommandent les entreprises qui contribuent à résoudre des problèmes sociétaux ;
- 69% veulent que les entreprises et les employeurs facilitent leur propre implication personnelle (en tant que consommateur ou salarié) dans ces enjeux.
Même si la RSE (et son alter ego, le développement durable)
se heurtent toujours au mur du scepticisme, le plus puissant des atouts joue en
sa faveur : l’effet du temps et du renouvellement des générations…
La RSE est une démarche d’engagement
L’étude
de MSLGROUP citée ci-dessus montre l’importance de la notion d’engagement:
l’entreprise doit dire ce qu’elle fait et faire ce qu’elle dit. Un
« zoom » sur les déclarations des jeunes Français issues de cette
étude met en évidence le risque d’ignorer ce nouvel état de fait : la très
grande majorité d’entre eux se déclarent attentifs aux impacts sociaux et
environnementaux des marques et des entreprises avec lesquelles ils sont en
contact mais surtout 23% déclarent qu’ils changent de fournisseur si ces
attentes ne sont pas remplies et 22% encouragent leur entourage à faire de
même.
De ce
point de vue, les avancées obtenues sur le reporting social et environnemental
sont positives car elles permettent de matérialiser ces engagements et de les
suivre. En France, les obligations de reporting RSE qui s’imposaient depuis la
loi NRE du 15 mai 2001 mais seulement aux entreprises cotées, soit environ 700
entreprises, ont été étendues par la loi du 12 Juillet 2010, dite Grenelle 2, à
toutes les entreprises (cotées ou non) de chiffre d’affaires (ou total du
bilan) supérieur à 100M€ et d’effectif supérieur à 500 salariés. Le décret
d’application de l’article 225 de cette loi, publié (après quelques errements) en
avril 2012 prévoyait une entrée en application progressive par tranches de
taille d’entreprises, si bien que 2015 marquera le premier exercice de
publication de leurs informations extra-financières par toutes les entreprises
soumises. Un autre apport de cette loi est la certification obligatoire par un
tiers accrédité, qui elle aussi, entre en application de manière progressive
jusqu’en 2016, mais qui contribue à une amélioration de la qualité des
informations publiées.
Bien
sûr, on peut déplorer le caractère insuffisant et lacunaire de certaines des
publications. On peut surtout regretter qu’aucune branche professionnelle n’ait
cherché à engager une négociation pour définir une liste d’indicateurs
pertinents pour son secteur d’activité. En effet, dans le but d’assurer une
comparabilité entre entreprises, la loi a fixé une liste d’indicateurs, qui
gagnerait à être adaptée par métier. Mais je constate surtout que ces données
sont gravement sous-exploitées. Bon nombre d’entreprises ont vu cette
initiative comme une contrainte administrative et la gèrent a minima, en se
contentant de publier leurs données dans l’indifférence générale.
Heureusement,
d’autres entreprises s’appuient sur cette obligation pour
- en faire un levier d’amélioration de leur système d’information ;
- définir les indicateurs les plus significatifs pour leur activité ;
- en déduire des plans d’action et les suivre ;
- utiliser certains de ces indicateurs dans les process de GRH (par exemple pour déterminer un compartiment RSE dans la rémunération variable) ;
- enrichir leur politique RSE et mobiliser les salariés et les autres parties prenantes ;
- utiliser les données de leurs concurrents dans un but de benchmarking.
« From compliance to performance, » comme disent les
Américains…
De son côté, l’Europe, qui partait de plus loin sur cet
aspect, a connu une avancée importante en 2014. La directive comptable
européenne sur la publication des informations extra-financières a été votée le
15 avril 2014 par le Parlement Européen et publiée au JO de l'Union européenne
du 15 novembre 2014. Les États membres disposent d'un délai de deux ans pour
intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit national, lesquelles seront
applicables en 2017. Elles s’appliquent aux entreprises cotées, aux banques et
aux compagnies d'assurance de plus de 500 salariés.
Les entreprises françaises doivent s’appuyer sur l’avance
acquise par notre pays dans ce domaine en transformant les nouvelles obligations
issues de Grenelle 2 en opportunité pour mieux charpenter les politiques RSE avec
des indicateurs plus pertinents et solides mais aussi en profiter pour enrichir
les tableaux de bord utilisés pour le pilotage des activités. Une autre façon
de traduire l’acronyme de RSE pourrait être : Retour Sur Engagements.
La RSE suscite un indispensable renouveau de l’entreprise
L’entreprise est fragilisée par une crise de défiance dont
nous sous-estimons les effets négatifs. Chaque année, le CEVIPOF[4]
prend la température de la confiance des Français. Le tableau de synthèse
ci-contre, issu de la dernière (cinquième) vague annuelle du baromètre (2014)
montre que l’entreprise privée (ainsi que les banques) se situent à un niveau
très bas. Mais il y a plus problématique : tout laissait à penser que la
crise allait provoquer une remontée de confiance compte tenu des attentes que
les Français placent dans l’entreprise pour contribuer à la résolution des
problèmes les plus aigus qu’ils connaissent (chômage, précarité, pouvoir
d’achat, empreinte écologique,…). J’ai comparé les résultats avec ceux de la
première vague de l’observatoire (2009) : les indices sont plats
aussi bien pour les entreprise privées que pour les banques.
Ce qui colle la confiance envers l’entreprise aux niveaux
les plus bas c’est la perception de leur comportement orienté exclusivement
vers les intérêts des actionnaires. Ainsi, d’après le baromètre, 75% des personnes
interrogées sont d’accord avec l’affirmation suivante : « les entreprises
cherchent seulement à faire des profits plutôt qu’à améliorer la qualité de
leurs produits ou de leurs services pour les consommateurs » ; 75% également
estiment qu’elles maintiennent leurs prix à un niveau anormalement élevé. De
même, 80% d’entre elles estiment que les intérêts des entreprises et des
salariés ne vont pas dans le même sens. Ce jugement est encore plus sévère à
l’égard des dirigeants puisque 84% des personnes interrogées estiment que les
intérêts des uns et des autres ne vont pas dans le même sens. Ce jugement est,
et de très loin, le plus sévère de tous les pays de l’OCDE. Face à cette image
très dégradée des entreprises, le tableau de synthèse ci-dessus montre que les
institutions qui attirent le plus de confiance sont celles qui contribuent aux
grands enjeux de société (la santé, la sécurité, l’éducation) ou qui
incarnent l’intérêt général (les associations et les services publics).
Antoine Frérot, PDG de Veolia, a résumé cette impasse de
perception dans « Les Echos » :
« La défiance des Français vis-à-vis des entreprises, notamment des plus
grandes, vient du fait qu'ils ont la sensation que le succès des entreprises ne
contribue pas à l'intérêt général et qu'il ne profite qu'aux actionnaires. Cela
n'est pas exact et un meilleur équilibre entre parties prenantes permettrait de
corriger cette sensation ».[5]
Ne croyons pas que cette intense contestation de l’entreprise
soit spécifique à la France. L’un des articles de la revue trimestrielle du
cabinet McKinsey s’ouvre par ces mots : « Capitalism is under attack »[6].
La question pour l’entreprise n’est pas de perdre son âme en se transformant en
je ne sais qu’elle association sans but lucratif ou en ressuscitant les grandes
heures de la philanthropie. Elle est de rendre son « business model »
compatible avec une contribution positive et visible aux enjeux sociaux et
environnementaux. Pour cela, il faut chercher une redéfinition adéquate de
l’entreprise.
Cette dernière est d’autant plus nécessaire que notre
système productif éprouve quelques difficultés à passer la nouvelle mutation
qui s’impose à nous : celle de l’entrée dans l’économie de la
connaissance. La persistance d’une croissance anémiée et d’un manque de
compétitivité en est l’évidente manifestation. La RSE peut constituer une réponse
adéquate car elle propose une redéfinition de l’entreprise adaptée au nouveau
contexte. Voici ce que nous dit le
rapport de France Stratégie remis au président de la République, « Quelle
France dans 10 ans ? »[7] : « Décloisonner
la société, c’est aussi repenser les rôles au sein de l’entreprise. Le modèle
qui traite le travail comme un input indifférencié et dont le seul objectif est
de maximiser la valeur nette pour ses actionnaires porte une conception
erronée. Parce qu’il oublie que l’entreprise est un groupement humain, il est
mal adapté à une économie fondée sur l’innovation et la recherche d’une haute
valeur ajoutée, où les compétences (ce que les économistes appellent capital
humain) sont un facteur essentiel. Les actionnaires, en effet, apportent un
type d’actifs qui les rend propriétaires de parts de capital, mais d’autres
partenaires de l’entreprise apportent d’autres actifs, en particulier les
compétences des salariés. » On ne peut donc plus piloter une entreprise
sur la base des motivations d’une seule de ses parties prenantes, les
actionnaires. Il faut au contraire élargir l’angle de vue pour embrasser
l’ensemble de ces « porteurs d’enjeux »[8].
Pour cela, il faut
faire sauter le verrou juridique qui enferme le dirigeant de société dans la poursuite
exclusive de l’intérêt des actionnaires, afin de sécuriser les démarches
conformes aux principes de la RSE. C’est ce que proposait récemment la
commission réunie par Jacques Attali autour du thème de l’économie positive. En
septembre 2012, lors du LH Forum, le président de la République lui avait
confié la mission de produire des recommandations à mettre en œuvre par le
gouvernement français pour donner chair à ce concept d'économie positive. Le
rapport publié un an plus tard formulait 45 propositions pour développer une
économie plus positive, dont la première était la suivante : « Repenser
profondément les objectifs des entreprises. L’article 1833 du Code civil, qui
dispose que ‘toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans
l’intérêt commun des associés’, pourrait être reformulé ainsi : ‘Toute société
doit avoir un objet licite, être constituée et gérée dans l’intérêt pluriel des
parties prenantes et concourir à l’intérêt général, notamment économique,
environnemental et social’ ».[9]
La
démarche proposée consistait ainsi à sortir de l’impasse que constitue une
vision étriquée de l’entreprise, vue au travers de l’objectif exclusif de la
création de valeur pour l’actionnaire (voir « RSE et création de valeur : quel rôle pour le dirigeant ? »). Elle permettait d’élargir la notion
d’intérêt social pour la faire coïncider avec la définition moderne de la
performance globale : compléter le P de Profit, avec celui de People et de
Planet.
Cette proposition a
été incorporée au projet de loi pour la croissance et l’activité (dite
« loi Macron »)[10]. Mais
certains n’ont pas compris qu’elle permettait à l’entreprise de refonder sa
légitimité sur de nouvelles bases : l’étroitesse de la réflexion, la
paresse intellectuelle et l’efficacité du lobbying ont eu raison de cette
proposition qui a disparu du projet de loi entre sa présentation au Conseil
d’Etat et sa discussion en Conseil des ministres. Je soutiens la démarche des
députés qui vont tenter de la réintégrer par amendements.
La RSE est un facteur de différenciation
L’approche de la RSE est une
opportunité pour la France dans la recherche d’une compétitivité retrouvée et
d’une voie de sortie de crise. Cela n’a pas échappé à France Stratégie qui met
en avant cette proposition dans son rapport « Quelle France dans dix
ans ? »[11] :
« Ne nous leurrons pas : nous n’atteindrons ni les taux de croissance de
la Chine, ni l’inventivité scientifique et technique des États-Unis, ni la
puissance industrielle de l’Allemagne, ni l’équilibre social ou la qualité
environnementale des pays scandinaves, ni la sécurité de la Suisse. Mais nous
pouvons décider de combiner chacune de ces performances, et devenir l’un des
pays qui sache le mieux mettre la croissance au service du bien-être de ses
citoyens ou, pour le dire autrement, l’un des pays qui équilibre le mieux
impératifs économiques, exigences environnementales et priorités
sociales. »
Ce qui est vrai pour un pays l’est aussi pour les
entreprises. D’après le baromètre des enjeux RSE, publié en avril 2014 par le
cabinet BDO et Malakoff Médéric, les trois priorités stratégiques des entreprises
sont : se différencier sur le marché, encourager l'innovation et
communiquer en externe. Ces trois priorités sont parfaitement en phase avec les
apports de la RSE. Celle-ci permet de construire des nouvelles réponses aux opportunités
stratégiques et de changer la donne concurrentielle au sein d’un secteur
d’activité. La compétitivité, la croissance et la différenciation passent par
l’innovation qui se trouve de plus en plus portée par les salariés en interne
et les parties prenantes en externe, c’est-à-dire l’écosystème.
Deux
économistes et professeurs à l’université de Savoie, Rachel Bocquet et Caroline
Mothe, ont travaillé sur les liens entre la RSE et l’innovation. Leur
conclusion : « S’engager dans des programmes sociétaux et
environnementaux semble pouvoir fournir de précieuses ressources et favoriser
l’innovation produit ainsi que l’implication des employés qui accroit
l’innovation de procédés »[12].
Dans un autre article, elles montrent que la mise en œuvre pro-active de la RSE
maximise les effets sur l’innovation (à la fois sur les produits et les
procédés) alors que dans les entreprises qui, au contraire, subissent la RSE,
celle-ci peut constituer un frein à l’innovation[13].
Ceci confirme le fait que les avantages concurrentiels en matière de RSE
recherchés par les entreprises sont très différents selon leur position
concurrentielle et leur approche du marché : les suiveurs sont très centrés sur
la réduction des risques et l’efficience opérationnelle alors que les leaders
sont plus orientés vers la différenciation produits et la création de nouveaux
marchés, c’est-à-dire sur l’innovation[14].
Après
avoir fait son entrée dans les Comex et les conseils d’administration et de
surveillance, la RSE poursuit ses avancées et apparaît plus souvent dans les assemblées
générales (AG) d’actionnaires. Une étude de l’ORSE et de Capitalcom montre que
la RSE est de plus en plus présente parmi les thèmes présentés aux actionnaires
en AG: « 1/3 des entreprises du CAC 40 intègrent désormais la RSE à la
présentation de leur stratégie et de leur business model
– le plus souvent dans une optique de différenciation face à un environnement
en mutation ». Cette mise en visibilité « correspond à une attente
forte des actionnaires, qui accordent une place croissante à la RSE et à
la gouvernance dans leurs échanges avec les entreprises : ¼
des questions orales portent ainsi sur les thématiques ESG
(environnement, social et gouvernance) et la moitié des
résolutions déposées par les actionnaires concernent la gouvernance. »[15]
Une
dernière illustration sur ce thème : nous venons de publier dans Metis,
une tribune de Lydia Brovelli, qui s'attache à distinguer les avancées de la
RSE et les freins persistants, depuis la remise du rapport dont elle a été
co-auteure il y a 18 mois. Cet éclairage me semble significatif d'un
basculement de la RSE vers un levier stratégique, qui s'intègre au « business
model » des entreprises et à ses métiers (voir « Pour une performance globale : les défis de la RSE », Metis, 10 Décembre 2014).
La RSE est un levier de transformation
Dans son dernier rapport sur la RSE, le cabinet McKinsey met
l’accent sur les modifications qui affectent les motivations d’adopter la RSE énoncées
par les dirigeants des grandes entreprises mondiales. Traditionnellement, les
principales motivations étaient la maîtrise du risque de réputation et la réduction
des coûts. Elles sont maintenant dépassées par la volonté d’aligner le
développement durable avec les objectifs stratégiques de l’entreprise, devenue
la principale motivation (mise en avant par 43% des dirigeants en 2014 contre
30% en 2012 et 21% en 2010).[16]
La RSE s’intègre au modèle stratégique des entreprises et à
ses métiers. Deux professeurs américains de management stratégique ont
défini les cinq dimensions qui dénotent le caractère stratégique d’une approche
RSE[17]:
- Centralité : alignement des pratiques de RSE avec les objectifs de l’entreprise ;
- Proactivité : degré d’anticipation des pratiques de RSE par rapport aux tendances sociales émergentes ;
- Volontarisme : degré de prise de décision et absence de contraintes externes imposées ;
- Visibilité : des pratiques de RSE observables et reconnaissables par les parties prenantes ;
- Appropriation : capacité à capturer les bénéfices privés associés à la RSE par l’entreprise.
Sur cette base, j’observe l’éclosion d’un sixième attribut qui
en découle naturellement : la RSE devient un carburant de la conduite du
changement. Sur ce point, je me contenterai de renvoyer aux 7 recommandations
que j’ai formulées pour construire une RSE agile : « Construisez votre politique RSE comme un accélérateur de changement ».
La RSE poursuit son mouvement de mondialisation
La RSE n’est plus celle que vous croyez… A ces débuts, tout
était clair : il y avait d’un côté une version anglo-saxonne, fortement
teintée de philanthropie et d’initiatives volontaires et de l’autre côté de
l’Atlantique, une version d’Europe continentale mâtinée de l’empreinte des
Etats Nations et des prescriptions de l’Etat providence. Il y avait d’un côté
la RSE comme approche de la gouvernance des entreprises et de l’autre le
développement durable comme régulation de la planète, deux cultures dont Pierre
Mazeau, délégué général de l'association Global Compact France, synthétisait
ainsi la focale : « le développement durable c’est 80% de préoccupation
environnementale et 20% d’autres thématiques; la RSE c’est l’inverse ». Et
puis, l’ISO 26.000, dont nous allons célébrer cette année le cinquième
anniversaire, est arrivée : en 9 années de travail (associant 99 pays
participants…) elle a produit une « norme de synthèse » presque
universellement reconnue. C’est ce qui a permis à la RSE de transformer son
internationalisation en mondialisation.
Et c’est maintenant en Asie que se bousculent les
initiatives les plus marquantes. En août 2013 la société Nielsen publiait une
grande enquête menée dans 58 pays auprès de 29.000 personnes afin d'analyser la
perception qu'ont les consommateurs sur la RSE. Cette étude révèle que 50 % des
personnes interrogées veulent récompenser les sociétés qui ont une démarche socialement
responsable et par conséquent, souhaitent montrer leur engagement à travers
leur comportement d'achat. Ce pourcentage est en progression régulière (il
était de 45 % en 2011). Quels sont les pays dans lesquels cette proportion de
« consom’acteurs » – des consommateurs qui veulent orienter leurs
achats vers des entreprises responsables – est la plus élevée ?
Spontanément, on a tendance à penser que l’engagement en faveur de la
responsabilité sociale est d’abord une préoccupation de pays riche, là où les
consommateurs ont déjà un large choix de produits et disposent d’un niveau de
vie qui leur permet plus facilement d’arbitrer en fonction d’autres critères
que la qualité ou le prix. Erreur ! Les pays où les consommateurs sont les
plus sensibles à l’attitude des entreprises en matière de RSE sont l’Inde (75
%), les Philippines (71 %), la Thaïlande (68 %), l’Indonésie (66 %), l’Égypte
(64 %) et le Vietnam (64 %). Uniquement des pays émergents, avec une très forte
représentation de l’Asie.
En août 2013, la plus grande démocratie du monde, l’Inde,
stupéfiait la communauté internationale en publiant la loi Companies Bill, qui impose
aux plus grandes sociétés du pays (environ 8.000 entreprises…) de consacrer 2%
de leur bénéfice net à des investissements responsables. Alors qu’il a fallu
attendre la fin 2014 pour que l’Union Européenne décide d’ajouter à
l’obligation de reporting financier celle du reporting RSE, cette dernière
existe depuis longtemps en Inde et en Indonésie, suivis par Taiwan et la
Malaisie. En 2014, la bourse de Singapour a annoncé la mise en place de cette
obligation pour toutes les entreprises cotées. L’année 2014 marque également la
création (par NewsAsia) du premier indice boursier asiatique focalisé sur le
développement durable, qui agrège les valeurs des entreprises les plus
performantes en RSE issues de 10 pays d’Asie.
En Chine, les autorités ont commencé par demander au secteur
public (qui représente 20% de l’économie) de publier un rapport RSE, puis ont
rapidement étendu cette obligation aux entreprises cotées. Les dispositions
adoptées par les bourses de Shenzhen en 2006 et de Shanghai en 2008 ont non
seulement créé l'obligation pour les entreprises de publier un rapport RSE, mais
aussi de se fixer des objectifs et de rendre compte en publiant des
informations précises. Marie-Noëlle Auberger rappelle que près de 200 entreprises
chinoises ont déjà rejoint le Global Compact (Pacte mondial des entreprises des
Nations Unies).[18] Lors
d’un colloque sur la RSE, Michel Doucin, conseiller diplomatique du CESE et
secrétaire permanent de la plateforme RSE, montrait que la Chine a su utiliser
la RSE comme un levier de compétitivité. En 2007, la fédération du textile en
Chine, qui représente 200 000 entreprises et 20% des exportations du pays, présentait
la norme CSC9000T, un système de management de responsabilité sociale adapté au
secteur textile comprenant des principes, des lignes directrices et un guide
d'auto-évaluation. Il s’agissait de résister à la concurrence du Bengladesh par
la RSE et de parvenir à faire en 10 ans ce que les Japonais ont fait en 30 ans.
En 5 ans, ils ont déjà obtenu des résultats probants.[19]
La Chine a un long chemin à accomplir, ne serait-ce que pour respecter les
principes de l’OIT (dont la liberté syndicale) et procurer des conditions de
travail et de vie décentes, mais elle montre aussi une réelle capacité
d’initiative.
La RSE nous concerne tous… ainsi que nos enfants
Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, François
Hollande s’est fortement engagé en faveur d’une réussite de la conférence sur
le climat COP 21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015. De fait, nous ne
pouvons plus attendre (voir : « Le développement durable contre l’emploi? »).
L’année 2015 sera marquée par la préparation de cette conférence dont les
objectifs sont de
- limiter la hausse des températures durant ce siècle à 2°C,
- parvenir à un accord de tous les pays (196 pays… pas seulement les pays les plus développés comme précédemment) et
- définir des objectifs volontaires (et non plus des objectifs chiffrés contraignants).
La réussite est loin d’être assurée. Chacun a en mémoire l’échec
cuisant de Copenhague en 2009, mais aussi les précédentes COP – la COP 19 à
Varsovie en 2013 et la COP 20 à Lima en décembre 2014 – qui n’ont pas été de
francs succès…
A cet égard, je pense que quatre ingrédients manquent, qui
permettraient d’augmenter considérablement les chances de succès de la COP21.
- Mobiliser les entreprises. La démarche est conçue comme un marathon diplomatique. Malgré l’implication des Etats, l’expérience de Copenhague n’a pas été tirée sur ce plan : c’est sur le terrain, dans la société civile et les entreprises que se situe la plus grande part des marges de manœuvre.
- Etre plus volontariste sur l’idée de faire entrer le risque climatique dans la comptabilité des entreprises et publier leur empreinte carbone. Il faut ré-internaliser dans les coûts et les prix, les impacts environnementaux produits par les différentes sources d’énergie. Par exemple, le débat sur le gaz et le pétrole de schiste aurait une toute autre tonalité si le coût des pollutions de l’eau et de l’air était intégré aux prix de ces énergies.
- Développer la fiscalité écologique. Ce dernier aspect prend forme puisqu’en en 2014, on compte 40 pays qui ont instauré une taxe carbone ou des règles d’échange de quotas d’émission, qui représentent ensemble plus de 22% des émissions mondiales. Mais la France n’y prend guère sa part. Rappelons que les précédentes conférences ont échoué sur la question du financement…
- Développer de façon plus volontariste les usages du numérique, l’économie circulaire, l’économie collaborative et l’économie fonctionnelle, qui sont les 4 innovations de ce siècle et ont un point commun : elles permettent un découplage entre la croissance économique et la consommation de ressources et d’énergie.
Comment se situent les entreprises françaises en termes de
performance climatique ? C’est un sujet sur lequel la France dispose d’une
certaine avance. Frédéric Hug, Président du Comité Changement Climatique du
MEDEF le rappelait récemment : « la France figure parmi les économies
industrialisées les moins émettrices de gaz à effet de serre, grâce notamment à
ses choix énergétiques. Avec 186 g CO2/$ PIB, la France affiche la deuxième
performance de l’UE. La moyenne mondiale s’établit à 443 g CO2/$ PIB soit plus
du double. »[20] Le
dernier rapport du CDP (Carbon Disclosure Project) sur la performance
énergétique confirme l’avance des entreprises françaises, soulignant la qualité
de leur reporting climatique, leur souci de transparence et l’amélioration de
leur performance carbone. Mais le constat ne s’arrête pas là : le CDP
souligne que cet effort doit être multiplié par cinq pour atteindre l’objectif
de limitation de la hausse moyenne de température du globe à 2°C.[21]
Pour atteindre cet objectif, c’est l’ensemble des 196 pays
qu’il faudra entraîner. Une forte mobilisation est indispensable pour permettre
la réalisation de ce qui est au fondement même du développement durable, qui se
définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».[22]
Oui, la RSE est là pour durer. Et bien au-delà de 2015,
chaque année la rapproche de ce que j’ai appelé la RSE transformative, la
conception de la RSE qui m’a amené à créer ce blog : « Management & RSE: pourquoi ce blog ? ».
Choisir
de rester en dehors de l’évolution vers une croissance soutenable et un mode de
création de valeur durable est encore une option pour 2015. Mais cela risque de
finir par coûter très cher… Claude Fussler[23]
le disait déjà il y a treize ans lors de la conférence de la Terre à Johannesburg :
« Il n'est pas d'entreprise qui gagne dans un monde qui perd »…
Je vous souhaite, cher(e)s lectrices et lecteurs, une
excellente année,
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[1] Il
s’agit de la génération née entre 1980 et 1995. Ou pour ceux qui préfèrent
l’implacable séquentialité de l’alphabet : la génération Z, celle qui suit
les Y…
[2] « Millennials at work : Reshaping
the workplace », PWC Report, 2011
[3] “People's
Insights: The Future of Business Citizenship”, MSLGROUP study, December 2014,
étude réalisée avec Research Now, qui a interrogé 8000 personnes dont au moins
500 pour chacun des 17 pays étudiés: Brazil, Canada, China, Denmark, France,
Germany, Hong Kong, India, Italy, Japan, Mexico, Netherlands, Poland, Singapore,
Sweden, UK, United States.
[4] Centre
d'étude de la vie politique française, le Cevipof est rattaché à Sciences-Po et
au CNRS
[5] Antoine
Frérot, « Les Echos », 15 décembre 2014
[6] “Redefining capitalism”,
McKinsey Quarterly, September 2014, by Eric Beinhocker and Nick Hanauer
[7] « Quelle France dans 10 ans ? Les
Chantiers de la décennie », Rapport de France Stratégie au président de la
République, sous la direction de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la
stratégie et à la prospective, juin 2014
[8]
Traduction littérale de « stakeholder », partie prenante.
[9] « Pour une économie
positive », rapport du groupe de réflexion présidé par Jacques Attali,
Fayard, septembre 2013
[10]
Emmanuel Macron a été rapporteur adjoint de la Commission Attali en 2007
(Commission pour la Libération de la Croissance)
[11] Rapport
cité ci-dessus.
[12] Rachel
Bocquet et Caroline Mothe, « Profil des entreprises en matière de RSE et
innovation technologique », « Management & Avenir », décembre 2013
[13] Rachel
Bocquet, Christian Le Bas, Caroline Mothe and Nicolas Poussing, “Are firms with
different CSR profiles equally innovative? Empirical analysis with survey
data », European Management Journal, 31 (6), pp.642-654, 2013
[14] Voir K. Hockerts, « Managerial
perceptions of the business case for corporate social responsibility », CBS
Working Paper Series, CBS Center for Corporate Social Responsibility,
Frederiksberg. p24, 2007
[15] « Doit-on parler davantage de
RSE en assemblée générale ? », Etude de l’ORSE et de Capitalcom, 17
janvier 2014
[17] Lee Burke and Jeanne M.
Logsdon, « How Corporate Social Responsibility Pays Off », LRP (Long Range
Planning), Vol.29, 1996
[18] Voir «
La RSE en Chine : vers une recomposition de la relation salariale ? », Metis, 24
Septembre 2014. Marie-Noëlle Auberger publie « La Missive de Gestion
Attentive », inépuisable source d’informations sur la RSE et la
gouvernance des organisations : http://gestion-attentive.com
[19] « RSE : un pilier nouveau de
l’entreprise d’après-crise ? », Quatrièmes Rencontres parlementaires sur la
Responsabilité sociétale des entreprises, Paris, 15 octobre 2013
[20]
Interview dans « Décisions Durables » No 21 de janvier 2015
[21] « The CDP Climate Performance
Leadership Index 2014 », Carbon Disclosure Project, December 2014
[22] Rapport
de Gro Harlem Brundtland, alors Ministre d’État de Norvège, Our common future
(Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et
le développement de l’ONU, avril 1987)
[23] Claude
Fussler a dirigé le programme Caring for Climate pour le Pacte Mondial de l’ONU
de 2004 à 2011.
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