La qualité du management a un impact
déterminant et positif sur la performance financière des entreprises. Cette
information devrait être popularisée auprès des directeurs administratifs et
financiers (DAF), parfois prompts à « tailler dans le management »
pour obtenir une amélioration de la performance… sans apprécier le mécanisme
inverse, encore peu étayé : le management est un levier de performance.
L’étude menée
par la société de Bourse Oddo Securities[1]
montre que les entreprises qui se distinguent par la qualité de leur management
présentent une performance financière, approchée par l’évolution de leur cours
de bourse, très significativement supérieure aux autres. En l’occurrence, elle
met en évidence une surperformance des entreprises les mieux notées par rapport
à leur indice de référence (Stoxx Europe 600) de 44% sur 5 ans.
Ce résultat
me semble intéressant et utile. Intéressant car il est par nature difficile
d’apprécier le
management sous un angle quantitatif. Cette étude a le mérite, avec certaines limites bien sûr, de s’y essayer. En cela, elle fait preuve d’empathie avec le mode de raisonnement le plus naturel chez bon nombre de décideurs, orienté vers la quantification. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette étude provient, au sein de Oddo Securities, de l'équipe de Jean-Philippe Desmartin, responsable des études ESG (Environnement, Social, Gouvernance), l’un des spécialistes de la notation extra-financière.
management sous un angle quantitatif. Cette étude a le mérite, avec certaines limites bien sûr, de s’y essayer. En cela, elle fait preuve d’empathie avec le mode de raisonnement le plus naturel chez bon nombre de décideurs, orienté vers la quantification. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette étude provient, au sein de Oddo Securities, de l'équipe de Jean-Philippe Desmartin, responsable des études ESG (Environnement, Social, Gouvernance), l’un des spécialistes de la notation extra-financière.
Cette étude
est également utile car le management intermédiaire et les processus RH sont
souvent la cible des politiques de réduction de coûts, qui cherchent à rétablir
la performance financière dans une approche parfois trop court-termiste et
mécaniste. Il n’est pas inutile de montrer que plus nous progressons vers une
société de la connaissance et du service client, plus le management et la RH constituent
des leviers de compétitivité. Or, la période récente se caractérise par une
dégradation du management, perçue par les cadres eux-mêmes. Dans la dernière
enquête Viavoice publiée sur cet aspect en mai 2014, les cadres expriment la
perception d’une forte détérioration des pratiques managériales : 52 % d’entre
eux sont de cet avis contre 41 % deux ans auparavant.[2]
La qualité du management, moteur de la performance durable
Les auteurs
de l’étude insistent justement sur l’idée selon laquelle la qualité du
management est « l’un des principaux moteurs de la performance durable des
entreprises ». Ils présentent d’ailleurs leurs choix de structurer la
qualité du management en 4 piliers comme une façon « de donner un gage de
bonne capacité d’exécution de la stratégie qui a été annoncée et présentée par
l’entreprise ». Effectivement, j’observe que de nombreux dirigeants, qui
s’impatientent de la lenteur du changement dans leur entreprise, ont parfois
sous-estimé l’importance du management intermédiaire et de la RH en phase de
conception du contenu du changement comme en phase de déploiement. Si les
dirigeants sont effectivement en première ligne de la construction de la
stratégie, le management et la RH sont aux avant-postes du déploiement…
L’étude
approche la qualité du management en mesurant 23 critères répartis sur 4 piliers :
- le dirigeant (qui « compte » pour 30% du scoring global),
- l'équipe dirigeante (25%),
- l'organisation et le management intermédiaire (25%),
- les ressources humaines (20%).
Il s’agit là
d’un progrès significatif alors que tant d’analystes financiers persistent dans
l’erreur d’apprécier la qualité managériale d’une entreprise uniquement par son
dirigeant ou son Comex (les deux premiers critères). La performance ne repose
donc pas seulement sur un individu ni même sur une poignée de dirigeants. En
particulier, j’observe que le bon fonctionnement des entreprises dépend de plus
en plus significativement de leur management intermédiaire (qui
« vertèbre » les organisations) et de leurs processus de GRH (qui
leur procure l’influx nerveux).
Cette
difficulté à « imprimer » le changement est accentuée par la transition
managériale à l’œuvre dans les entreprises : cette transition nous fait
passer, parfois dans la douleur, d’un mode de management vertical et fondé sur
l’autorité et la hiérarchie à un mode de management transversal et fondé sur
l’adhésion et la motivation (« Transition managériale : heurts et malheurs français »).
Le modèle construit
par l’étude d’Oddo Securities tient compte de la capacité de l’organisation à
conduire et gérer le changement, qui est de mon point de vue, l’un des points
de vulnérabilité des grandes organisations. Ainsi, les deux critères qui pèsent
le plus dans le pilier « équipe dirigeante » sont la capacité à gérer
les réorganisations et les restructurations (qui représente à elle seule 6% du
scoring global) et l’intégration des acquisitions (6% également).
Ces critères
rendent compte notamment de la capacité à
- anticiper et intégrer les impacts humains des transformations mais aussi
- chercher les alternatives innovantes aux licenciements,
- agir de façon socialement responsable afin de préserver la motivation des salariés qui restent dans l’entreprise,
- tenir compte des aspects culturels lors des fusions.
Ces critères
sont majeurs puisque j’observe que
- peu de restructurations sont conduites de manière à éviter la spirale mortelle de l’enchaînement des PSE et des plans de départ et que
- plus de la moitié des fusions est destructrice de valeur.
Le « modèle » de management et le « modèle » RH
Le
« modèle » de management préconisé (troisième pilier) est fortement
ancré sur une recherche de simplicité de l’organisation (nombre limité de
matrices et de niveaux de management), sur la capacité à dégager de la
croissance, à susciter un apprentissage permanent et des innovations (sur la
base d’indicateurs tels que l’effort de R&D, le nombre de brevets déposés,
la part du CA réalisé avec de nouveaux produits ou services…), à privilégier une
culture entrepreneuriale. Ce dernier critère (qui pèse pour 5%) me semble le
plus original en comparaison des modèles usuels. Il est d’autant plus pertinent
que se multiplient dans les grandes entreprises, des formes d’entrepreneuriat
interne, qui s’efforcent de préserver l’esprit d’entreprise (voir : « L’intrapreneuriat: un levier de transformation managériale »).
Les indicateurs retenus pour l’estimer sont la flexibilité et la réactivité des
équipes, la culture et la proximité client, la satisfaction clients (Net
Promoter Score par exemple), la culture de gestion de projet ou encore le
track-record en matière d’implémentation de chantiers lourds tels que les
projets informatiques.
Sur la
complexité organisationnelle, l’étude considère que dans une grande entreprise,
le nombre de niveaux de management entre le PDG et la dernière ligne de
management ne devrait pas dépasser 7. Cela est conforme aux préconisations
concernant l’entreprise agile et compatible avec la nécessité d’éviter des
équipes opérationnelles trop nombreuses pour permettre un réel accompagnement
de proximité par le manager.
Sur le
premier pilier, je note avec plaisir que le portrait-type du dirigeant
« idéal » dessiné par les critères retenus, nous éloigne du
« management bling-bling », du storytelling et autres excès. Ce
dirigeant est discret, peu médiatique, plutôt anti-star, le plus souvent issu
de l'interne et intègre. Les auteurs de l’étude rappellent que Warren Buffet,
la référence pour les investisseurs, a deux exigences avant d'investir dans une
entreprise : l'honnêteté du management et la compréhension du business model. La
préférence marquée en faveur d’un PDG issu de l’interne va dans le sens des
études qui montrent que la performance financière des grandes entreprises
dirigées par un cadre issu de ses rangs est plutôt meilleure que celles
dirigées par un cadre venu de l’extérieur (voir par exemple l’étude annuelle « CEO
Succession » réalisée par le cabinet Booz & Co[3]).
Cependant, cette « règle » est contingente : ainsi on a vu les
grands constructeurs automobiles américains en quête d’innovation, choisir des
dirigeants externes à leur secteur d’activité pour surmonter la crise de 2008,
puis revenir vers des dirigeants issus de leurs rangs une fois la situation
rétablie.
Sur le
dernier pilier (dimension de gestion des ressources humaines), l’accent est mis
notamment sur les dysfonctionnements et risques sociaux (5% du scoring). Ces
coûts cachés sont effectivement souvent largement sous-estimés en termes d’impact
sur la performance, notamment parce qu’ils sont extrêmement divers dans leurs
symptômes :
- Absentéisme élevé ;
- Accidents du travail (taux de fréquence, taux de gravité, incident majeur,…) ;
- Climat social dégradé, grèves à répétition ;
- Dialogue social géré de façon contractuelle entre les partenaires sociaux (positif) ou bien règlement devant les tribunaux (négatif) ;
- Passifs sociaux (santé, prévoyance, retraite) élevés, ratios rapportés à la capitalisation boursière de l’entreprise supérieurs à 10% et surtout à 30% ;
- Pyramide des âges déséquilibrée (âge moyen supérieur à 42, voire 45 ans), gestion du partage des connaissances ;
- Turnover (rotation du personnel) élevé, en particulier sur des métiers ou profils clés ("hauts potentiels", management intermédiaire), …
Cette
importance donnée à ce critère me semble justifiée. D’après les études menées
par l’ISEOR[4], fondé
par Henri Savall, les coûts cachés sont très significatifs puisqu’ils
représentent en général 40 à 50% de la masse salariale et dans certains
secteurs, atteignent des records (80% dans la métallurgie). A contrario, cela
confirme la nécessité croissante d’améliorer la qualité de vie au travail (« Qualité de vie au travail : un levier de transformation sociale »).
Concernant
la formation, l’étude ne se contente pas des ratios habituels d’accès à la
formation continue mais attire l’attention sur un aspect souvent négligé :
l’évaluation des formations. Elle valorise les entreprises qui effectuent
systématiquement une évaluation
- "à chaud" par le salarié parti en formation, dans les 2 ou 3 jours au maximum qui suivent la fin de son stage ;
- "à froid" par son manager, quelques semaines ou mois après la fin de la formation du collaborateur envoyé en stage.
Une enquête
de la Cegos réalisée en mars 2012 montrait que le suivi post formation est loin
d’être systématique: moins d’une entreprise sur trois évalue systématiquement
la mise en application de la formation.
L’adjonction
de ce pilier RH au pilier management est appropriée à la période que nous
vivons, qui se caractérise par une forte « décentralisation » (ou
délégation) des responsabilités de GRH des équipes de la part de la Direction
des Ressources Humaines vers les managers de proximité. Les autres critères
retenus me semblent pertinents et conformes aux approches RH qui permettent de
construire des marges de manœuvre stratégiques et une différenciation
compétitive solide. Pour un aperçu de ces approches RH, je vous invite à vous reporter
à cette synthèse sur ce même blog : « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité ».
Plus
globalement, l’approche proposée n’est pas une simple batterie d’indicateurs.
Elle plonge ses racines dans les
théories du management et mobilise les apports de la recherche
académique, notamment l’école américaine des relations humaines (Mary Parker
Follet, Elton Mayo, Abraham Maslow,…) en oubliant toutefois son « chef de
file », Douglas McGregor. Elle y associe la vision d’économistes (Joseph
Schumpeter), de sociologues (Michel Crozier), de spécialistes du management (Henry
Mintzberg) et de consultants (Peter Drucker, Jim Collins) pour dégager une
cohérence dans l’importance du management comme levier concurrentiel.
Quelques failles… ou pistes d’amélioration
L’échantillon
des entreprises retenues pour la notation et le test statistique (50 grandes
entreprises européennes) est encore restreint. Comme toute étude statistique,
corrélation n’est pas raison : il est tentant de déduire que les
entreprises qui disposent d’un management de qualité sont les plus performantes
mais on pourrait dire aussi que les entreprises les plus performantes sont
celles qui ont le plus de moyens pour investir dans un management de qualité…
L’échantillon n’est pas suffisamment vaste pour permettre une étude
longitudinale, qui permettrait de mieux cerner les liens de causalité.
De même,
certains des indicateurs de gestion mis en œuvre manquent un peu de pertinence.
Ainsi, le critère qui pèse le plus dans la qualité du management intermédiaire
est la « croissance organique et la prise de parts de marché » (8% du
scoring global). Ceci amène donc à conclure que les entreprises qui croissent
le plus (et plus vite que leur secteur) sont les plus performantes, une
conclusion quelque peu tautologique…
La
complémentarité des 4 piliers retenus par l’étude me semble pertinente. Il n’y
manque qu’un cinquième pilier, orienté vers l’extérieur de l’organisation, qui
matérialiserait la politique RSE (responsabilité sociale) de l’entreprise.
Cette adjonction permettrait une véritable approche holistique de la performance
et rendrait compte des liens de l’entreprise avec son écosystème. Même si la
politique RSE est en partie reflétée par les deux derniers piliers (management
et RH), elle n’apparaît que sous l’angle de son empreinte sociale et il manque
un certain nombre de critères dont la recherche académique a montré les liens
positifs avec la performance : diversité (origine sociale et ethnique,
genre, âge, nationalité, formation) non seulement de l’équipe dirigeante mais
plus généralement au sein des effectifs[5],
politiques environnementales, valorisation des comportements éthiques, respect
des principes de gouvernance, etc.
Le chemin inverse (de la RSE vers le
management et la GRH) est très inégalement couvert par les différentes agences
de notation. Parmi les initiatives convaincantes, signalons que quatre critères
sont analysés et notés par Vigeo, la première agence européenne, dans le domaine
des ressources humaines : la promotion du dialogue social, la gestion de
carrières et la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de santé
et de sécurité et la gestion responsable des restructurations.
Conclusion
Au-delà des
critères déjà très riches, l’ajout d’un pilier RSE permettrait de mieux cerner le
« return on management » dans l’ensemble de ses impacts : financiers,
environnementaux, humains, sociétaux. L’approche permet déjà d’étayer une
intuition forte : ce dont les entreprises ont besoin, ce n’est pas, comme
beaucoup le prétendent, de moins de management. C’est plutôt d’un management
plus équilibré et plus « capacitant »[6]
-- c’est-à-dire bénéficiant d’un pouvoir d’agir retrouvé. En d’autres termes,
il s’agit de ce que j’appelle le management responsable : exigeant en
termes de résultats, attentif vis-à-vis du travail et bienveillant avec les
personnes.
Martin
RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises
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[1] Jean-Philippe
Desmartin, Nicolas Jacob, Asma Ben Salah, Asma Ferjani, « La Qualité du Management, gage pour l’investisseur de la bonne exécution de la stratégie annoncée », Rapport Oddo Securities, 27 mars 2014
[2] Baromètre
cadre Viavoice pour l’Ugict-Cgt, mai 2014
[3] Ex.
Booz-Allen & Hamilton récemment rebaptisé Strategy& (et membre du
réseau de PwC)
[4] Laboratoire
de recherche de l’Université de Lyon 3, sur les coûts cachés du travail
[5] Voir par
exemple : « Diversité du capital humain et performance économique de
l’entreprise », réseau IMS-Entreprendre pour la cité, rendue publique le 30
novembre 2011
[6] Un
environnement capacitant est un lieu propice au développement du pouvoir d’agir
des individus. Voir Martha C. Nussbaum, « Capabilités ; Comment créer les
conditions d'un monde plus juste », éditions Climats, Paris, 2012
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