Vous trouverez ci-dessous mon interview paru dans le numéro d’avril 2014 de la
revue « Prévention BTP », l’une des rares publications françaises
(avec celles de l’ANACT et de l’INRS) qui traite de l’enjeu de la prévention en
sécurité et santé au travail. Bonne lecture !
Pour une entreprise, quelle est la portée du concept de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ?
La responsabilité sociale est l’intégration des impacts sur
les parties prenantes dans la stratégie et les politiques de l’entreprise. Les
parties prenantes, ce sont les personnes, les groupes humains ou les
organisations qui sont touchés par des décisions que prend l’entreprise. C’est
le cas des salariés, des clients, des fournisseurs… et également de la
biodiversité. Les générations futures sont aussi considérées comme des parties
prenantes. L’entreprise n’a pas pour seul objectif de satisfaire ses
actionnaires par le biais des dividendes qu’elle leur verse. Elle a une
responsabilité plus globale, qui s’exerce vis-à-vis de la société.
Je considère
la RSE comme un mode de management plutôt nouveau, qui impose de piloter, de
gouverner, de manager autrement, donc d’intégrer des impacts qui n’étaient pas forcément
pris en compte auparavant : les problématiques environnementales, de santé
au travail, de prévention santé et sécurité, d’accompagnement et d’anticipation
du changement, d’employabilité.
Une petite entreprise de BTP peut-elle intégrer cette dimension ?
Absolument. La taille et les métiers importent peu. La RSE peut
et doit s’appliquer partout : elle est avant tout une démarche. A
l’évidence, l’accident du travail est le premier chantier de la RSE dans les
petites entreprises de BTP. Dans une PME, les problèmes sont plus visibles. Mais
il y a souvent moins de moyens pour les prendre à bras le corps. Cela repose
sur le chef de chantier, convaincu ou non de l’importance de la politique de
sécurité, de la politique de santé et éventuellement des impacts
environnementaux, mais surtout sur la conviction personnelle du dirigeant.
Quels seraient les enjeux de demain pour cette branche en termes de prévention ?
Il faut s’appuyer sur les points forts du secteur. Il
n’y a pas de taylorisme dans le BTP.
L’environnement de travail est changeant. C’est un point fort car la pénibilité
et le risque psychosocial sont très fortement liés au manque de marges de
manœuvre. Dans le BTP, les personnes constatent
tout de suite l’impact de ce qu’elles font. Elles participent à une œuvre
collective, valorisée et visible. C’est le secteur où l’on travaille le plus en
équipe, mais aussi où la proportion de salariés qui déclarent appartenir à
plusieurs équipes différentes est la plus forte[1].
Il y a du lien social, du lien professionnel, des collègues avec qui l’on
échange : autant de facteurs extrêmement protecteurs du stress, et qui
contribuent beaucoup à la qualité de vie au travail (voir « Qualité de vie au travail : un levier de transformation sociale »).
Quels pourraient être les leviers à utiliser ?
Le principal levier, c’est la prévention. C’est un défi car
nous n’avons pas la culture de la prévention. La France ne consacre que 3 % du
budget de la santé à la prévention, une proportion très faible comparée à nos
voisins européens.
Les entreprises ont-elles à y gagner ?
L’étude de l’OPPBTP sur "La dimension économique de la
prévention" est extrêmement intéressante, parce que c’est l’une des rares en
France au plan micro-économique à mesurer l’efficacité de la prévention[2].
Pour 100 euros engagés dans des actions de prévention, l’entreprise retire 219
euros de gains. Une étude de l’AISS[3]
s‘est intéressée aux investissements de prévention réalisés dans la sécurité et
la santé en milieu de travail par 300 entreprises dans 15 pays différents. Leur
ratio moyen bénéfice-coût est de 2,2. Autre exemple, au Canada, le Groupe entreprises
en santé (ex GP2S), dédié à la prévention en santé au travail, a mesuré
l’impact de la prévention : les entreprises ayant mis en œuvre un
programme de prévention santé et sécurité ont obtenu une augmentation de leur
productivité de 9 %, un absentéisme réduit de 2 % et un retour sur
investissement entre 2,75 et 4. Tous ces chiffres convergent vers une
réalité : la prévention fait sens sur le plan économique. On peut donc se
demander pourquoi les entreprises et l’Etat n’investissent pas plus en
prévention.
Avez-vous une explication ?
Ces études doivent absolument être mieux diffusées,
notamment auprès des directeurs financiers, qui sont peu familiers des
problématiques de santé et de sécurité au travail. On sait démontrer que la
prévention au travail "rapporte", mais il faut du temps pour que les
choses se mettent en place. Or, malheureusement, la communauté financière
raisonne sur un horizon extrêmement court, ce qui pénalise les actions
d’investissement en prévention.
Quels acteurs faut-il mobiliser ou privilégier ?
Il ne faut négliger personne. Tous les acteurs doivent être
mobilisés : les dirigeants, les DRH quand il y en a, les partenaires
sociaux bien sûr, les CHSCT. Il y a 22 000 CHSCT en France et c’est sans
doute l’un des actifs les plus sous-utilisés. Un tiers seulement des élus de
CHSCT déclarent que les avis du comité sont suivis (voir : « Les CE et CHSCT : un véritable contre-pouvoir ? »).
Les DRH et les dirigeants doivent créer les conditions d’un meilleur
fonctionnement des CHSCT.
Propos recueillis par Diane Valranges, « Prévention BTP »,
No 174, avril 2014
Pour aller plus loin : Revue Prévention BTP.
Consulter la seconde et dernière partie de cette interview :
« Reconnaître la valeur du travail ».
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[1] «
Troisième enquête européenne sur les entreprises: premiers résultats », Rapport
Eurofound, décembre 2013
[2] Cette étude
publiée en mars 2013 a porté sur 101 cas d’actions de prévention et abouti à
des analyses valorisées de façon comptable et validées par les entreprises
rencontrées sur le terrain.
[3] «
Rendement de la prévention : calcul du ratio coût-bénéfice de l’investissement
dans la prévention et la sécurité en entreprise », AISS (Association
internationale de la sécurité sociale), septembre 2011
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